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Langue Française (InaLF)
Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou La manie [Document
électronique] / par Ph. Pinel
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Vi. signes précurseurs des accès de manie. la nature des
affections propres à donner naissance à la manie riodique, et
les affinités de cette maladie avec la mélancolie et l'
hypocondrie, doivent faire psumer que le siége primitif en est
presque toujours dans lagion épigastrique, et que c' est de ce
centre que se propagent, comme par une esce d' irradiation, les
accès de manie. L' examen attentif de leurs signes précurseurs,
donne encore des preuves bien frappantes de l' empire si étendu
que Lacaze et Bordeu donnent à ces forces épigastriques, et que
Buffon a si bien peint dans son histoire naturelle ; c' est même
toute la région abdominale qui semble entrer bientôt dans cet
accord sympathique. Les insensés, au prélude des accès, se
plaignent d' un
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resserrement dans la région de l' estomac, du dégoût pour les
alimens, d' une constipation opiniâtre, des ardeurs d' entrailles
qui leur font rechercher des boissons rafraîchissantes ;
agitations, des inquiétudes vagues, des terreurs paniques, des
insomnies ; bientôt après le désordre et le trouble des idées se
marque au-dehors par des gestes insolites, par des singularités
dans la contenance et les mouvemens du corps, qui ne peuvent que
frapper vivement un oeil observateur. L' aliéné tient quelquefois
sa tête élevée et ses regards fixes vers le ciel ; il parle à
voix basse, il se promène et s' arrête tour-à-tour avec un air d'
admiration raisonnée, ou une sorte de recueillement profond. Dans
d' autres aliénés, ce sont de vains exs d' une humeur joviale
et des éclats de rire immodérés. Quelquefois aussi, comme si la
nature se plaisoit dans les contrastes, il se manifeste une
taciturnité sombre, une effusion de larmes sans cause connue, ou
me une tristesse concentrée et des angoisses extrêmes. Dans
certains cas, la rougeur presque subite des yeux, le regard
étincelant, le coloris des joues, une loquacité exubérante, font
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présager l' explosion prochaine de l' acs, et la nécessi
urgente d' une étroite clusion. Un aliéné parloit d' abord avec
volubilité, il poussoit de
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fréquens éclats de rire, il versoit ensuite un torrent de larmes
; et l' exrience avertissoit de le renfermer promptement, car
ses acs étoient de la plus grande violence, et il mettoit en
pièces tout ce qui tomboit sous ses mains. C' est par des visions
extatiques durant la nuit, que préludent souvent les accès de
dévotion maniaque ; c' est aussi quelquefois par des rêves
enchanteurs et par une prétendue apparition de l' objet aimé sous
les traits d' une beauté ravissante, que la manie par amour
éclate quelquefois avec fureur, aps des intervalles plus ou
moins longs de raison et de calme. Vii. changement des
affections morales durant les accès. celui qui a regardé la
colère comme une fureur ou manie passare /... /, a exprimé une
pensée très-vraie, et dont on sent d' autant plus la profondeur,
qu' on a été plus à portée d' observer et de comparer un grand
nombre d' accès de manie, puisqu' ils se montrent en général sous
la forme d' un emportement prolongé plus ou moins fougueux ; ce
sont bien plus ces émotions d' une nature irascible, que le
trouble dans les idées ou les singularités bizarres du jugement,
qui
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constituent le vrai caractère de ces accès : aussi trouve-t-on le
nom de manie comme synonime de celui de fureur , dans les
écrits d' Arétée et de Caelius Aurelianus, qui ont excellé
dans l' art d' observer. On doit seulement reprendre la trop
grande extension qu' ils donnoient à ce terme, puisqu' on observe
quelquefois des acs sans fureur, mais presque jamais sans une
sorte d' altération ou de perversion des qualités morales. Un
homme devenu maniaque par les événemens de la révolution,
repoussoit avec rudesse, au moment de l' accès, un enfant qu' il
chérissoit tendrement en tout autre temps. J' ai vu aussi un
jeune homme plein d' attachement pour son re, l' outrager, ou
chercherme à le frapper dans ses acs périodiques, et
nullement accompagnés de fureur. Je pourrois citer quelques
exemples d' aliénés, connus d' ailleurs par une probité rigide
durant leurs intervalles de calme, et remarquables, pendant leurs
accès, par un penchant irsistible à voler et à faire des tours
de filouterie. Un autre insensé, d' un naturel pacifique et très-
doux, sembloit inspiré par le démon de la malice durant ses accès
; il étoit alors sans cesse dans une activité malfaisante, il
enfermoit ses compagnons dans les loges, les provoquoit, les
frappoit, et suscitoit à tout propos des sujets de querelle et de
rixe.
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Mais comment concevoir l' instinct destructeur de quelques
aliénés, sans cesse occupés àchirer et à mettre en lambeaux
tout ce qu' ils peuvent atteindre ? C' est sans doute quelquefois
par une erreur de l' imagination, comme le prouve l' exemple d'
un insensé, qui chiroit le linge et la paille de sa couche, qu'
il prenoit pour un tas de serpens et de couleuvres entortillés.
Mis parmi ces furieux, il y en a aussi dont l' imagination n' est
point lésée, et qui éprouvent une propension aveugle et féroce à
tremper leurs mains dans le sang, et à déchirer les entrailles de
leurs semblables / Iv /. C' est un aveu que j' ai ru en
frissonnant de la bouche me d' un de ces insensés, dans ses
intervalles de tranquillité. Pour compléter enfin ce tableau d'
une atrocité automatique, je puis citer l' exemple d' un aliéné
qui tournoit contre lui comme contre les autres sa fureur
forcenée. Il s' étoit amputé lui-même la main avec un couperet
avant d' arriver à Bicêtre, et malgré ses liens, il cherchoit à
approcher ses dents de sa cuisse pour la vorer. Ce malheureux a
fini par succomber dans un de ces accès de rage maniaque et
suicide.
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Viii. diverses lésions des fonctions de l' entendement
durant les acs. on sait que Condillac, pour mieux remonter,
par l' analyse, à l' origine de nos connoissances, suppose une
statue animée, et successivement douée des fonctions de l' odorat
, du goût, de l' oe, de la vue et du tact, et c' est ainsi qu'
il parvient à indiquer les idées qui doivent être rapportées à
des impressions diverses. N' importe-t-il point de même à l'
histoire de l' entendement humain de pouvoir considérer d' une
manière isolée ses diverses fonctions, comme l' attention, la
comparaison, le jugement, laflexion, l' imagination, la
mémoire et le raisonnement, avec les altérations dont ces
fonctions sont susceptibles ? Or un accès de manie offre toutes
les variétés qu' on pourroit rechercher par voie d' abstraction.
Tantôt ces fonctions sont toutes ensembles abolies, affoiblies,
ou vivement excitées pendant les accès ; tantôt cette altération
ou perversion ne tombe que sur une seule ou plusieurs d' entre
elles, pendant que d' autres ont acquis un nouveau dégré de
veloppement et d' activité qui semblent exclure toute idée d'
aliénation de l' entendement. Il n' est pas rare de voir quelques
aliénés plongés, pendant
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leurs acs, dans une idée exclusive qui les absorbe tout entiers
, et qu' ils manifestent dans d' autres momens ; ils restent
immobiles et silencieux dans un coin de leur loge, repoussent
avec rudesse les services qu' on veut leur rendre, et n' offrent
que les dehors d' une stupeur sauvage. N' est-ce pas là porter l'
attention au plus haut degré, et la diriger avec la dernière
vivacité sur un objet unique ? D' autre fois l' insensé, durant
son accès, s' agite sans cesse ; il rit, il chante, il pleure
tour-à-tour, et montre la mobilité la plus versatile, sans que
rien puisse le fixer un seul moment. J' ai vu des aliénés refuser
d' abord avec la plus invincible obstination toute nourriture par
une suite de préjugés religieux, être ensuite fortement ébranlés
par le ton impérieux et menaçant du concierge, passer plusieurs
heures dans une sorte de lutte intérieure entre l' idée de se
rendre coupables envers la divinité, et celle de s' exposer à de
mauvais traitemens, der enfin à la crainte, et se terminer à
prendre des alimens ; n' est-ce point comparer des idées après
les avoir fortement méditées. D' autres fois l' alié paroît
incapable de cette comparaison, et il ne peut sortir de la sphère
circonscrite de son idée primitive. Le jugement paroît
quelquefois entièrement oblitéré pendant l' accès, et l' insensé
ne prononce que
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des mots sans ordre et sans suite, qui supposent les idées les
plus incohérentes. D' autres fois le jugement est dans toute sa
vigueur et sa force ; l' insensé paroît modéré, et il fait les
réponses les plus justes et les plus précises aux questions des
curieux, et si on lui rend la liber, il entre dans le plus
grand accès de rage et de fureur, comme l' ont prouvé les
déplorables énemens des prisons au 2 septembre de l' an 2 e
de la république. Cette sorte de manie est même si commune, que
j' en ai vu huit exemples à la fois dans l' hospice, et qu' on
lui donne le nom vulgaire de folie raisonnante . Il seroit
superflu de parler des écarts de l' imagination, des visions
fantastiques, des transformations idéales en généraux d' armée,
en monarques, en divinités ; illusions qui font le caractère des
affections hypocondriaques et mélancoliques, si fréquemment
observées etcrites sous toutes les formes par les auteurs.
Comment peut-on
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manquer de les retrouver dans la manie, qui n' est souvent que le
plus haut degré de l' hypocondrie et de la mélancolie ? Il y a de
singulières variétés pour la mémoire, qui semble quelquefois être
entièrement abolie, en sorte que les aliés, dans leurs
intervalles de calme, ne conservent aucun souvenir de leurs
écarts et de leurs actes d' extravagance ; mais certains d' entr'
eux se retracent vivement toutes les circonstances de l' accès,
tous les propos outrageans qu' ils ont tenus, tous les
emportemens ils se sont livrés ; ils deviennent sombres et
taciturnes pendant plusieurs jours ; ils vivent retirés au fond
de leurs loges, et sont pénétrés de repentir, comme si on pouvoit
leur imputer ces écarts d' une fougue aveugle et irrésistible. La
flexion et le raisonnement sont visiblement lésés ou détruits
dans la plupart des accès de manie ; mais on en peut citer aussi
l' une et l' autre fonction de l' entendemens subsistent dans
toute leur énergie, ou se tablissent promptement lorsqu' un
objet vient à fixer les insensés au milieu de leurs divagations
chimériques. J' engageai un jour un d' entre eux, d' un esprit
très-cultivé, à m' écrire une lettre au moment même où il tenoit
les propos les plus absurdes, et cependant cette lettre, que je
conserve encore, est pleine de sens et de raison. Un orfévre, qui
avoit l' extravagance
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de croire qu' on lui avoit chansa tête, s' infatua en même
temps de la chimère du mouvement pertuel ; il obtint ses outils
, et il se livra au travail avec la plus grande obstination. On
imagine bien que la découverte n' eut point lieu ; mais il en
sulta des machines très-ingénieuses, fruit cessaire des
combinaisons les plus profondes. Tout cet ensemble de faits peut-
il se concilier avec l' opinion d' un siége ou principe unique et
indivisible de l' entendement ? Que deviennent alors des milliers
de volumes sur la métaphysique ? Ix. les acs de manie ont
pour caractère un nouveau degré d' énergie physique et morale.
on doit espérer que la médecine philosophique fera désormais
proscrire ces expressions vagues et inexactes d' images tracées
dans le cerveau, d' impulsion inégale du sang dans les
différentes parties de ce viscère, du mouvement irrégulier des
esprits animaux , etc., expressions qu' on trouve encore dans
les meilleurs ouvrages sur l' entendement humain, et qui ne
peuvent plus s' accorder avec l' origine / Iii /, les causes /
V / et l' histoire / Vietvii / des accès de manie. L'
excitation nerveuse qui en caractérise le plus grand nombre, ne
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marque pas seulement au physique par un excès de force musculaire
et une agitation continuelle de l' insensé, mais encore au moral,
par un sentiment profond de supériorité de ses forces, et par une
haute conviction que rien ne peut résister à sa volonté suprême ;
aussi est-il doalors d' une audace intrépide, qui le porte à
donner un libre essor à ses caprices extravagans, et dans les cas
de pression, à livrer un combat au concierge et aux gens de
service, à moins qu' on ne vienne en force et qu' on ne se
rassemble en grand nombre, c' est-à-dire qu' il faut, pour le
contenir, un appareil imposant qui puisse agir fortement sur son
imagination, et le convaincre que toute résistance seroit vaine ;
c' est-là un grand secret dans les hospices bien ordons, de
prévenir les accidens funestes dans des cas inopinés, et de
concourir puissamment à la guérison de la manie. J' ai vu aussi
quelquefois cette excitation nerveuse devenir extrême et
incrcible. Un insen, calme depuis plusieurs mois, est tout-à-
coup saisi de son accès durant un tour de promenade ; ses yeux
deviennent étincelans et comme hors des orbites ; son visage, le
haut du cou et de la poitrine, prennent la rougeur du pourpre ;
il croît voir le soleil à quatre pas de distance, il dit éprouver
un bouillonnement inexprimable dans
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sa tête, et avertit qu' on l' enferme promptement, parce qu' il
n' est plus le maître de contenir sa fureur. Il continua, pendant
son acs, de s' agiter avec violence, de croire voir le soleil à
ses côtés, de parler avec une volubilité extrême, et de ne
montrer que désordre et confusion dans ses idées. D' autres fois,
cette réaction de forces épigastriques sur les fonctions de l'
entendement, loin de les opprimer ou de les obscurcir, ne fait
qu' augmenter leur vivacité et leur énergie, soit en devenant
plus modérée, soit que la culture antérieure de l' esprit et l'
exercice habituel de la pensée servent à la contrebalancer. L'
accès semble porter l' imagination au plus haut degré de
développement et de fécondité, sans qu' elle cesse d' être
régulière et dirigée par le bon goût. Les pensées les plus
saillantes, les rapprochemens les plus ingénieux et les plus
piquans, donnent à l' aliéné l' air surnaturel de l' inspiration
et de l' enthousiasme. Le souvenir du passé semble se dérouler
avec facilité, et ce qu' il avoit oublié dans ses intervalles de
calme, se reproduit alors à son esprit avec les couleurs les plus
vives et les plus animées. Je m' artois quelquefois avec
plaisir auprès de la loge d' un homme de lettres qui, pendant son
accès, discouroit sur les énemens de la volution avec toute
la force, la dignité et la pureté du
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langage qu' on auroit pu attendre de l' homme le plus
profondément instruit et du jugement le plus sain. Dans tout
autre temps ce n' étoit plus qu' un homme très-ordinaire. Cette
exaltation, lorsqu' elle est associée à l' idée chimérique d' une
puissance supme ou d' une participation à la nature divine,
porte la joie de l' insensé jusqu' aux jouissances les plus
extatiques, et jusqu' à une sorte d' enchantement et d' ivresse
du bonheur. Un insen renfer dans une pension de Paris, et
qui, durant ses accès, se croyoit le prophète Mahomet, prenoit
alors l' attitude du commandement et le ton de l' envoyé du très-
haut ; ses traits étoient rayonnans, et sa démarche pleine de
majesté. Un jour que le canon tiroit à Paris pour des évènemens
de la révolution, il se persuade que
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c' est pour lui rendre hommage ; il fait faire silence autour de
lui, il ne peut plus contenir sa joie, et c' est peut-être l'
image la plus vraie de l' inspiration surnaturelle, ou plutôt de
l' illusion fantastique des anciens proptes.
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V. histoire d' une manie où le traitement moral auroit été
nécessaire. un jeune homme, âgé de vingt-quatre ans, et dod'
une imagination ardente, vient à Paris pour suivre le cours de
ses études, et se croit destiné par la nature à jouer dans la
suite le rôle le plus brillant dans le barreau. Application
continuelle, vie passée dans la retraite, sobriété extrême pour
donner plus d' essor à ses facultés morales, régime pythagorique,
adopté dans toute la rigueur du terme. Quelques mois après,
migraines violentes,
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saignemens fréquens du nez, resserremens spasmodiques de la
poitrine, douleurs vagues des intestins, flatuosités incommodes,
sensibilité morale très-exaltée. Quelquefois il m' aborde avec un
air rayonnant de joie, et il ne peut exprimer la félicité suprême
qu' il dit éprouver en lui-même : d' autres fois je le trouve
plongé dans les horreurs de la consternation et du désespoir, et
il me fait les instances les plus vives de mettre fin à ses
souffrances ; les caractères de l' hypocondrie la plus profonde
étoient aisés à reconnoître ; je lui en retrace les dangers pour
la suite, et je le conjure souvent de changer sa manière de vivre
; mais il poursuit toujours son plan avec l' obstination la plus
inflexible : augmentation des symptômes nerveux de la tête, du
bas-ventre, de la poitrine ; alternatives plus fréquentes d' un
abattement extrême et d' une joie convulsive, terreurs
pusillanimes, sur-tout dans les ombres de la nuit, angoisses
inexprimables. Il venoit quelquefois me trouver, fondant en
larmes, et me conjurant de l' arracher des bras de la mort ; je
l' entraînois alors dans la campagne, et quelques tours de
promenade, avec des propos consolans, sembloient lui rendre une
nouvelle vie ; mais à son retour dans sa chambre, nouvelles
perplexités, terreurs pusillanimes renaissantes ; il trouve un
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surcroît de désolation et de désespoir dans la confusion
croissante de ses ies, l' impossibilité de se livrer désormais
à l' étude, et la conviction accablante de voir s' évanouir pour
l' avenir la perspective de célébrité et de gloire dont son
imagination avoit été bercée ; l' aliénation la plus complète
suit de près. Un jour qu' il se rend au spectacle pour se
distraire, on joue la pièce du philosophe sans le savoir , et
s-lors le voilà assailli de soupçons les plus noirs et les plus
ombrageux ; il est profondément persuadé qu' on a joses
ridicules : il m' accuse d' avoir fourni moi-même les matériaux
de la pièce, et dès le lendemain matin, il vient me faire les
reproches les plus sérieux et les plus amers, d' avoir trahi les
droits de l' amitié, et de l' avoir expoà la dérision publique
. Son délire n' a plus de bornes ; il croit voir dans les
promenades publiques des comédiens travestis en moines et en
prêtres, pour étudier tous ses gestes, et surprendre le secret de
ses pensées. Dans l' ombre de la nuit, il se croît assailli,
tantôt par des espions, tantôt par des voleurs et des assassins ;
et une fois il répand l' alarme dans le quartier, en ouvrant
brusquement les croisées, et en criant de toutes ses forces qu'
on en
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vouloit à sa vie. Un de ses parens se détermine à lui faire subir
le traitement de la manie au ci-devanttel-dieu, et il le fait
partir vingt jours après avec un compagnon de voyage pour se
rendre dans une petite ville voisine des Pyes. également
affoibli au moral et au physique, toujours dans les alternatives
de quelques écarts du délire le plus extravagant et des acs de
sa noire et profonde mélancolie, il se condamne à un isolement
profond dans sa maison paternelle : ennui, dégoût insurmontable
de la vie, refus de toute nourriture, brusqueries contre tout ce
qui l' avoisine ; il trompe enfin la surveillance de sa garde,
fuit en chemise dans un bois voisin, s' égare, expire de
foiblesse et d' inanition, et deux jours après on le trouve mort,
tenant dans sa main le fameux livre de Platon sur l' immortalité
de l' ame. Vi. avantages de l' art de diriger les aliénés pour
seconder l' effet des médicamens. quel avantage d' avoir pu
rendre à la société un jeune homme doué, avant ses écarts, des
qualités les plus estimables, et dont les principes exagérés de
conduite ont hâté la perte ! Dans le traitement de sa manie, il
étoit en mon pouvoir d' user d' un grand nombre de redes ; mais
le plus puissant de tous me manquoit,
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celui qu' on ne peut guère trouver que dans un hospice bien
ordonné, celui qui consiste dans l' art de subjuguer et de
dompter, pour ainsi dire, l' aliéné, en le mettant dans l'
étroite pendance d' un homme qui, par ses qualités physiques et
morales, soit propre à exercer sur lui un empire irrésistible, et
à changer la chaîne vicieuse de ses idées. Quelques exemples
choisis, et qui se sont passés dans l' hospice des aliénés de
Bicêtre, rendront cette vérité sensible. Vii. effets utiles
d' une répression énergique. un militaire, encore dans un état
d' aliénation, après avoir subi le traitement ordinaire de l'
hôtel-dieu, est tout à coup domipar l' idée exclusive de son
départ pour l' are, et aps avoir tenté en vain toutes les
voies de la douceur, on a recours à la force pour le faire entrer
le soir dans sa loge ; il met tout en pièces durant la nuit, et
il est si furieux, qu' on a recours aux liens les plus forts. On
lui laisse ainsi exhaler les jours suivans sa fougue impétueuse ;
toujours des emportemens extrêmes ; toujours les accens de la
fureur ; ce n' est que par des invectives qu' il répond au chef
dont il affecte de méconnoître l' autorité. Huit jours se passent
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dans cet état violent, et il paroît enfin entrevoir qu' il n' est
pas le maître de suivre ses caprices. Le matin, durant la ronde
du chef, il prend le ton le plus soumis, et lui baisant la main :
" tu m' as promis, lui dit-il, de me rendre la liberté dans l'
intérieur de l' hospice, si j' étois tranquille ; eh bien ! Je te
somme de tenir ta parole " . L' autre lui exprime, en souriant,
le plaisir qu' il éprouve de cet heureux retour sur lui-même ; il
lui parle avec douceur, et dans l' instant il fait cesser toute
contrainte, qui auroit été désormais superflue ou même nuisible ;
sept mois de séjour dans l' hospice, suffisent pour affermir la
raison de ce militaire, et il a été rendu à sa famille et à la
défense de la patrie, sans avoir éprouvé depuis de recte. Viii
. avantage d' ébranler fortement l' imagination d' un aliéné
dans certains cas. un jeune homme consterné du renversement du
culte catholique en France, et dominé par des préjugés religieux
, devint maniaque, et après le traitement usité de l' hôtel-dieu,
il est transféré à Bicêtre. Rien n' égale sa sombre misantropie
; il ne parle que des tourmens de l' autre vie, et il pense que,
pour s' y soustraire, il doit imiter les abstinences et les
macérations des anciens anachorètes ; il s' interdit dès-lors
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toute nourriture, et vers le quatrième jour de cette résolution
inébranlable, son état de langueur fait craindre pour sa vie ;
remontrances amicales, invitations pressantes, tout est vain ; il
repousse avec dureté un potage qu' on lui sert, et il affecte d'
écarter la paille de sa couche, pour reposer sur les planches. Le
cours de ses ies sinistres pouvoit-il être autrement détruit ou
contre-balancé, que par l' impression d' une crainte vive et
profonde ? C' est dans cette vue que le citoyen Pussin se
présente le soir à la porte de sa loge, avec un appareil propre à
effrayer, l' oeil en feu, un ton de voix foudroyant, un groupe de
gens de service press autour et armés de fortes chaînes qu' ils
agitent avec fracas ; on met un potage auprès de l' aliéné, et on
lui intime l' ordre le plus pcis de le prendre durant la nuit,
s' il ne veut pas encourir les traitemens les plus cruels ; on se
retire, et on le laisse dans l' état le plusnible de
fluctuation, entre l' idée de la punition qui le menace, et la
perspective effrayante des tourmens de l' autre vie. Aps un
combat intérieur de plusieurs heures, la première idée l' emporte
, et il se détermine à prendre sa nourriture. On le soumet
ensuite à un régime propre à le restaurer ; le sommeil et les
forces reviennent par degs, ainsi que l' usage de sa raison, et
il échappe de cette
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manière à une mort certaine. C' est durant sa convalescence qu'
il m' a fait souvent l' aveu de ses agitations cruelles et de ses
perplexités durant la nuit de son épreuve. Ix. intimider l'
aliéné, mais ne point se permettre aucun acte de violence.
les exemples précédens retracent le caractère et les heureux
effets d' une sorte d' appareil de crainte, d' une opposition
ferme et invariable aux idées dominantes et à l' obstination
inflexible de certains aliénés, d' une détermination courageuse
et imposante, mais exclusive de tout outrage, exempte de tout
sentiment d' aigreur ou de colère, et conforme aux droits sacrés
de l' humanité ; c' est assez indiquer son extrême différence, d'
avec la dureté grossière, les coups, les blessures, j' ose dire
les traitemens atroces et quelquefois meurtriers, qui peuvent se
commettre dans des hospices d' aliés, où les gens de service ne
sont pas contenus par la surveillance la plus active et la plus
vère. Pourquoi retrouve-t-on dans les écrits des anciens, et
sur-tout ceux de Celse, une sorte de méthode interdiaire, un
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systême de moyens curatifs fondé sur des punitions sévères par la
faim, les coups, les chnes, pourprimer l' aliéné, lorsque
les avis et les voies de douceur deviennent inutiles ? Pourquoi
des établissemens publics ou particuliers ont-ils été dirigés par
des principes analogues ? Un fermier du nord de l' écosse, qui
avoit une stature d' Hercule, s' étoit rendu fameux pour la
guérison de la manie, au rapport du docteur Grégory. Sa méthode
consistoit à livrer les aliénés aux travaux les plus pénibles de
la culture, à varier leurs fonctions, à les employer, les uns à
titre detes de somme, les autres comme domestiques ; à les
duire enfin à l' obéissance par une volée de coups, au moindre
acte devolte ; c' est sur des principes analogues qu' a été
dirigée une sorte d' établissement monastique très-renommé, dans
une des partiesridionales de la France. Un des ppos
faisoit chaque jour la ronde dans les loges, et quand un aliéné
extravaguoit, faisoit du vacarme, refusoit la nuit de se coucher,
repoussoit toute nourriture, etc., il lui intimoit l' ordre
précis de changer, et le prévenoit que son obstination dans ses
écarts seroit punie le lendemain de dix coups de nerf de boeuf.
L' exécution de l' arrêt étoit toujours ponctuelle, et s' il
étoit nécessaire, on la renouveloit même à plusieurs
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reprises. On n' étoit pas moins exact à récompenser qu' à punir ;
et si l' aliése montroit soumis et docile, on lui faisoit
prendre ses repas au fectoire, à côté de l' instituteur, comme
pour l' éprouver. S' oublioit-il à table et commettoit-il la
moindre faute ? Il en étoit à l' instant averti par un coup de
baguette frapdurement sur ses doigts, et puis on ajoutoit avec
une gravité calme, qu' il avoit mal fait et qu' il devoit s'
observer avec plus de réserve. On doit regretter que le docteur
Willis ne soit pas encore parvenu à concilier le traitement de
la manie avec les principes rigides de la plus pure philantropie,
puisque dans l' établissement qu' il a foraux environs de
Londres, chaque aliéné a un gardien, qui peut rendre les coups
pour les coups, ce qui donne à la brutalité de ce dernier une
latitude interminée et dangereuse. X. maximes de douceur et
de philantropie à adopter dans les hospices. ce seroit peut-
être tomber dans le vague que de traiter d' une manière générale
et uniforme pour tous les peuples la question de l' institution
morale des aliénés par des coups et des châtimens corporels ; car
comment assurer que
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les nègres qui vivent dans la servitude à la Jamaïque, ou les
esclaves russes, fonnés à un systême oppresseur pendant toute
leur vie, ne doivent point être soumis, dans le cas d' aliénation
, aux mêmes lois d' un joug dur et despotique ? Mais quelques
effets favorables qu' on puisse attendre en général de la crainte
appliquée à la guérison de la manie, la sensibilité vive du
fraois et saaction violente contre tout abusvoltant du
pouvoir, tant qu' il conserve une lueur de raison, ne doivent-
elles point déterminer en sa faveur les formes de répression les
plus douces et les plus conformes à son caractère ? Tous les
faits observés ne viennent-ils pas d' ailleurs à l' appui de ces
principes ? Quels mouvemens fougueux, ou plutôt quels accès de
rage et d' indignation n' ai-je point vu éclater parmi certains
aliénés, lorsque des mauvais plaisans, qui venoient visiter l'
hospice, se faisoient un jeu barbare de les harceler ou de les
provoquer ? Dans l' infirmerie même des aliénés, qui étoit isolée
de l' hospice et hors de la surveillance du chef ordinaire,
combien de fois est-il arrivé que par des sotes railleries des
infirmiers ou des grossièretés brutales, des aliés calmes et en
voie de leur guérison, retomboient dans des accès de fureur, par
des contrariétésplacées ou des actes de violence ? Au
contraire, des
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aliénés transférés dans l' hospice, et désignés à leur arrivée
comme très-emportés et très-dangereux, parce qu' ils ont é
exaspés ailleurs par des coups et de mauvais traitemens,
semblent tout-à-coup prendre un naturel opposé, parce qu' on leur
parle avec douceur, qu' on compatit à leurs maux, et qu' on leur
donne l' espoir consolant d' un sort plus heureux. La
convalescence fait ensuite des progrès rapides sans aucun autre
artifice. Enfin l' expérience la plus constante n' apprend-elle
point que pour rendre durables et solides les effets de la
crainte, ce sentiment doit s' allier avec celui de l' estime à
mesure que la raison reprend ses droits ? Ce qui suppose que la
répression n' a point porté le caracre de l' emportement ou d'
une rigueur arbitraire, qu' on n' a employé pour vaincre la
pétulence indocile de l' aliéné qu' une force proportionnée au
degré de résistance, qu' on n' a été dirigé que par le desir
sincère de le ramener à lui-même, comme le prouve, immédiatement
après son repentir, une explication franche et amicale. Ce sont
les principes qu' on suit strictement dans l' hospice des
aliénés de Bicêtre. On y est sans doute très-loin d' avoir les
avantages du site, de la position du local, de son étendue, de sa
distribution intérieure, comme les possède le docteur Fowlen
dans son établissement en
p66
écosse ; mais je puis attester, d' après une observation assidue
de deux années concutives, que les mêmes maximes de la plus
pure philantropie président à la direction des aliénés de
Bitre ; que les gens de service, sous aucun prétexte
quelconque, ne portent une main violente sur eux, même par
représailles ; que les gilets de force et la reclusion pour un
temps très-limité sont les seules peines infligées ; et qu' au
faut du succès, par les voies de la douceur ou un appareil
imposant de répression, un stratagême adroit produit quelquefois
des cures inespérées.
p72
Xiv. exemple d' une lancolie avec bigoterie. un
missionnaire, par ses fougueuses déclamations et l' image des
tourmens de l' autre vie, épouvante tellement un vigneron crédule
, que ce dernier se croit franchement volu aux brasiers
éternels, et qu' il ne pense plus qu' à sauver sa famille et à la
faire jouir des palmes du martyre, dont une fquente lecture de
la vie des saints lui avoit fait les peintures les plus
duisantes. Il essaie d' abord de commettre ce crime horrible
sur sa femme, qui parvient à s' échapper de ses mains, et bientôt
après son bras force se porte sur deux enfans en bas âge, et il
a la barbarie de les immoler de sang-froid, pour leur procurer la
vie éternelle. Il est
p73
cité devant les tribunaux, et durant l' instruction de son procès
, il égorge encore un criminel qui étoit avec lui dans les
cachots, toujours dans la vue de faire une oeuvre expiatoire. Son
aliénation étant constatée, on le condamne à être enfermé pour la
vie dans les loges de Bicêtre. L' isolement d' une longue
tention toujours propre à exalter l' imagination, l' idée d'
avoir échappé à la mort malgré l' arrêt qu' il suppose avoir été
prononcé par les juges, aggravent son délire, et lui font penser
qu' il est revêtu de la toute-puissance, ou, suivant ses
expressions, qu' il est la quatrième personne de la trinité
, que sa mission spéciale est
p74
de sauver le monde par le baptême de sang, et que tous les
potentats de la terre réunis ne sauroient attenter à sa vie. Son
égarement se borne d' ailleurs à tout ce qui se rapporte à la
religion ; car, sur tout autre objet, il paroît jouir de la
raison la plus saine. Plus de dix années se sont passées dans une
étroite reclusion, et les apparences soutenues d' un état calme
et tranquille, déterminèrent à lui accorder la liberté dans les
cours de l' hospice avec les autres convalescens. Quatre
nouvelles années d' épreuve sembloient rassurer, lorsqu' on a vu
tout-à-coup se reproduire ses idées sanguinaires comme un objet
du culte religieux. Cette année, le Io nivose, qui correspond à
la veille de Nl, vieux style, il forme le projet atroce de
faire un sacrifice expiatoire de tous les hommes de l' hospice ;
il se procure un tranchet de cordonnier, saisit le moment où le
surveillant descend pour faire sa ronde, lui porte un coup par
derrière, qui glisse heureusement sur les tes, coupe la gorge à
deux
p75
aliénés qui étoient à ses tés ; et il auroit ainsi poursuivi le
cours de ses homicides, si les gens de service ne fussent
promptement venus en force pour arrêter sa froide rage. On n' a
pas besoin de remarquer que sa reclusion sera à jamais
irrévocable. Xv. manie par excès de votion très-difficile à
guérir. dire que les tentatives faites en Angleterre et en
France pour guérir la manie religieuse ou vote ont été vaines,
ce n' est point la déclarer absolument incurable ; et peut-être
que par une sage combinaison des moyens moraux et physiques, la
guérison, dans plusieurs cas, en seroit opérée. Mon projet auroit
été, si le local de Bicêtre avoit pu le permettre, d' isoler
cette espèce d' aliénés, de les départir sur un local spacieux et
propre à l' agriculture, ou à des exercices variés, de les
encourager au travail par le sentiment du besoin, l' appas d' un
léger lucre, ou quelque autre motif plus élevé ; d' écarter de
leur vue tout objet relatif au culte religieux, toute peinture ou
tout livre propre à en retracer l' image ; de faire faire à
certaines heures du jour des lectures philosophiques, de
rapprocher adroitement certains traits de la
p76
vie des anciens sages ou des actes d' humanité et de patriotisme,
avec la pieuse nullité et les délires bizarres des saints et des
anachorètes ; de faire enfin ntre de temps en temps des
circonstances propres à ébranler fortement leur imagination en
sens contraire de leurs idées chimériques. Un fait, dont j' ai
été le moin, rend probable le sucs de cette méthode. Xvi.
moyen adroit pris par le surveillant de l' hospice dans une
circonstance difficile. les administrateurs des hospices civils
, à une certaine époque de l' an Iii, crurent dans leur excès de
zèle révolutionnaire, devoir faire disparoître de ces lieux, tous
les objets extérieurs du culte, souvent seule consolation qu'
éprouve dans sa détresse le malheureux indigent, et ils
débutèrent à Bicêtre dans les dortoirs des vieillards ou
infirmes frappés, à ce spectacle inattendu, de sentimens d'
étonnement, d' indignation, et quelquefois d' effroi. Il étoit
tard pour se rendre à l' hospice des aliénés, et d' ailleurs
j' insinuai que les mélancoliques qui en faisoient partie
devoient être traités avec ménagement, ou plutôt qu' il convenoit
mieux de confier cette tâche délicate au surveillant lui-même,
p77
dont la fermeté et la sagesse étoient connues. Ce dernier, pour
éviter le trouble, et peut-être une émeute dans l' hospice, prend
une tournure adroite pour paroître suivre l' impulsion gérale
plutôt que la diriger ; il fait acheter un grand nombre de
cocardes aux couleurs nationales, et il convoque un certain jour
tous les als qui ne sont point reclus : " que ceux qui aiment
la liberté, leur dit-il d' un air riant, approchent, et qu' ils
viennent s' enrôler sous les drapeaux de la nation " . Quelques-
uns sitent, mais le plus grand nombre se rend à cette
invitation. Ce moment d' enthousiasme est mis à profit, et on
leur annonce que, suivant ce nouvel engagement, ils ne doivent
plus laisser subsister dans la chapelle de l' hospice une statue
de la vierge en bois doré, des effigies de saints en plâtre et
des peintures diverses relatives au culte catholique : nombreuse
bande qui part comme un éclair, qui se porte dans la chapelle et
renverse pêle-mêle, au milieu des cours, ces objets anciennement
si révérés. Air sombre de consternation et d' effroi de la petite
troupe de dévôts témoins de ce spectacle, murmures confus, puis
imprécations, menaces ; les plus exaspérés invoquent le feu du
ciel sur la te des coupables, et croyent voir s' entr' ouvrir
sous leurs pas des abîmes. Le surveillant, pour leur
p78
montrer que le ciel étoit sourd à leur voix, fait tout mettre en
pièces, et ordonne qu' on en éloigne les débris. La bienveillance
et l' attachement qu' il sait se concilier par son amour pour la
justice et sa philantropie, assurent l' exécution de la che
licate qui lui avoit été confe ; une majorité imposante des
tenus seconde ses volontés, et les mélancoliques dévôts,
pénétrés d' une impuissante colère, se retirent dans leur loge.
Je n' examine point ici la question nérale du maintien du culte
catholique dans les hospices, relativement aux principes d' une
administration sage et éclairée, mais il est toujours vrai que le
mélancolique ou le maniaque par dévotion ne peuvent être guéris,
si les impressions faites sur les sens leur ramènent sans cesse
les objets de leur primitif délire.
p106
recherches anatomiques sur les vices de conformation du crâne
des aliénés. I. la manie consiste-t-elle dans une lésion
organique du cerveau ? une opinion générale et assez
naturelle a fait consister l' aliénation des fonctions de l'
entendement, dans un changement ou unesion d' une partie
quelconque de la tête, et on s' est autorisé dans la suite sur le
sultat des travaux successifs de Bonnet, de Morgagni, de
Meckel et de Greding, auteur allemand qui, dans ces derniers
temps, a fait de nombreuses ouvertures des corps pourpandre
quelques lumières sur la nature de cette maladie ; de-là le
préjugé de la regarder comme le plus souvent incurable, de
questrer simplement les aliénés de la société, et de leur
refuserme les secours que toute infirmité réclame ; d' un
autre té de guérisons nombreuses orées en Angleterre et en
France ; le succès bien constaté du traitement moral dans un
grand
p107
nombre de cas, le résultat de plusieurs ouvertures de corps qui
n' ont manifesté aucune lésion organique, et enfin les écrits d'
un médecin anglais, qui regarde la manie comme une affection
purement nerveuse, semblent établir une opinion contraire à la
premre. Un des principaux objets de mes recherches depuis 6
années, a été de faire cesser une pareille incertitude par une
suite nombreuse de faits recueillis dans les hospices. Je
rapporterai dans la suite de cet ouvrage, le résultat de mes
observations sur l' état particulier du cerveau, des meninges ou
d' autres parties du corps des personnes mortes dans l'
aliénation, et je me borne dans cet article à consirer les
vices de conformation du crâne. Ii. périodes de la vie les
plus propres à faire contracter la manie qui vient de causes
morales. un simple résultat de calcul numérique sur les
périodes de la vie qui ouvrent le plus de chances à l' aliénation
, font voir en géral combien doivent être rares les vices de
conformation du cerveau ou du crâne. J' ai tenu un
p108
compte exact du nombre des insensés transs à Bicêtre durant
l' an 2 e et l' an 3 e de la république, et j' ai noté
soigneusement leurs âges respectifs. Pour mettre plus d' ordre
dans les résultats du calcul, j' eus soin, à la fin de chaque
ane, de dresser une table dans laquelle les périodes de l' âge
étoient divisées en dixaines d' anes, depuis la première jusqu'
à la soixantième, pour pouvoir y comprendre les âges des divers
aliénés. Je remarquai que dans le nombre total de soixante et
onze qui furent rus à Bicêtre durant l' an 2 e de la
république, trois seulement étoient compris entre la quinzième et
la vingtième ane de l' âge, mais pas un seul avant ce premier
terme, c' est-à-dire l' époque de la puber ; vingt-trois autres
aliénés étoient intermédiaires entre la vingtième et la trentième
ane, quinze entre trente et quarante années, et autant entre
quarante et cinquante ; neuf entre cinquante et soixante années,
six seulement depuis cette dernière jusqu' à soixante-dix, et
aucun au-delà de ce dernier terme. J' obtins encore un résultat
analogue pour l' an 3 e de la république, ensorte que l' âge d'
aucun alié ne s' est trouantérieur à l' époque de la puberté
; que les deux dixaines d' années comprises depuis vingt jusqu' à
trente, et depuis trente jusqu' à quarante, ont été les plus
fécondes en aliénés ; il y en a un
p109
nombre moindre dans la dixaine comprise entre quarante et
cinquante, et moins encore depuis cinquante jusqu' à soixante. Un
relevé exact des registres de l' hospice de Bicêtre, pendant dix
anes consécutives, sert à confirmer les mes vérités, comme l'
indique la table suivante : (..) .
p110
Iii. affections morales qui sont les plus propres, par leur
extrême violence, à produire la manie. la disposition plus
particulière qu' on a pour l' aliénation de l' entendement, dans
certaines riodes de la vie plus exposées que les autres à des
passions orageuses, se concilie facilement avec le résultat des
faits observés dans les hospices. Dans le recensement des aliénés
que je fis à Bicêtre l' an 3 de la république, je reconnus que
les causes terminantes de cette maladie sont le plus souvent
des affections morales très-vives, comme une ambition exaltée et
trome dans son attente, le fanatisme religieux, des chagrins
profonds, un amour malheureux. Sur Ii 3 aliénés sur lesquels j'
ai pu obtenir des informations exactes, 34 avoient été réduits
à cet état par des chagrins domestiques, 24 par des obstacles
mis à un mariage fortement desiré, 3 o par des événemens de la
volution, 25 par un zèle fanatique ou des terreurs de l'
autre vie ; aussi certaines professions disposent-elles plus que
d' autres à la manie, et ce sont sur-tout celles où une
imagination vive et sans cesse dans une sorte d' effervescence,
n' est point contrebalancée
p111
par la culture des fonctions de l' entendement, ou est fatiguée
par des études arides. En compulsant en effet les registres de l'
hospice des aliénés de Bicêtre, on trouve inscrits beaucoup de
prêtres et de moines, ainsi que des gens de la campagne, égarés
par un tableau effrayant de l' avenir ; plusieurs artistes,
peintres, sculpteurs ou musiciens ; quelques versificateurs
extasiés de leurs productions, un assez grand nombre d' avocats
ou de procureurs ; mais on n' y remarque aucun des hommes qui
exercent habituellement leurs facultés intellectuelles ; point de
naturaliste, point de physicien habile, point de chimiste, à plus
forte raison point de géomêtre. Iv. notions vagues données
jusqu' ici sur la forme du crâne de certains aliénés. ces
notions préliminaires indiquent d' avance combien doivent être
rares les lésions ou difformités du crâne parmi les aliénés,
puisque dans l' âge adulte l' ossification des os de late est
complette, et que des affections morales ne peuvent l' altérer.
Il restoit seulement à constater cette vérité par des ouvertures
des corps très-multipliées, et des recherches exactes.
p112
Gréding, auteur allemand, qui s' est livré particulièrement à ce
genre de travail, dit que sur cent aliénés il a trou trois
têtes volumineuses et deux très-petites ; il parle aussi de
certains cnes remarquables par leur épaisseur, de la forme
particulière de l' os frontal qui lui a paru quelquefois petit et
contracté, de la compression des tempes, de la sphéricité de
certaines têtes, tandis que d' autres sont oblongues ; mais on
voit combien ces observations sont vagues et indéterminées,
puisque l' auteur n' a employé aucune méthode précise pour
évaluer les dimensions de ces crânes, qu' il n' a pu par
conséquent les comparer entr' eux d' une manière exacte. Il y a
d' ailleurs des variétés de cne qui sont communes à toutes
sortes de personnes, même hors le cas d' aliénation ; il faut par
conséquent en faire abstraction dans les recherches sur les
aliénés, pour éviter de faux raisonnemens, et ne point prendre
pour cause déterminante ce qui n' est qu' une forme accidentelle
et coïncidente avec la manie. C' est assez indiquer que j' ai
suivi une méthode différente dans les nombreuses ouvertures de
corps que j' ai faites dans les hospices.
p113
V. les belles formes de late sont-elles en proportion
avec l' énergie des fonctions de l' entendement ? une opinion
assez générale fait attribuer aux vices du cerveau, et sur-tout
aux irrégularités et aux disproportions du cne, l' alnation
mentale ; ce seroit sans doute un grand objet de doctrine à
velopper que de faire voir les belles proportions de late
comme le signe extérieur de l' excellence des facultés de l'
entendement, de pouvoir d' abord prendre pour type le chef-d'
oeuvre de la sculpture antique, la te de l' apollon pythien,
p114
de pouvoir placer en seconde ligne les têtes des hommes les plus
heureusement organisés pour les beaux-arts et les sciences, de
descendre ensuite par tous les degrés successifs de disproportion
de la tête et de capacité intellectuelle jusqu' à l' homme tombé
dans la démence ou l' idiotisme ; mais l' observation est loin de
confirmer ces conjectures spécieuses, puisqu' on trouve
quelquefois les formes les plus belles de late jointes avec le
discernement le plus borné ou même avec la manie la plus
complette, et qu' on voit d' ailleurs des variétés singulières de
conformation exister avec tous les attributs du talent et du
génie. Cependant il n' est pas moins curieux et utile pour les
progrès de la science, d' établir certains faits bien constatés
comme un résultat nouveau de recherches, d' examiner les vartés
de conformation qui semblent indifférentes pour le libre exercice
des fonctions de l' entendement, de noter sur-tout les
difformités du crâne qui sont simultaes avec dessions
manifestes
p115
de ces mêmes fonctions, d' indiquer enfin les espèces d'
aliénation mentale qui dépendent plus particulièrement, soit du
faut de symétrie et de capacité des parties osseuses du crâne,
soit de la petitesse de ses dimensions par comparaison avec la
stature entière. Vi. avantages de prendre pour terme de
comparaison les belles proportions de la tête de l' apollon.
Camper, dans ses recherches sur la différence des traits du
visage, a porter toute son attention sur ce qu' il appelle la
ligne faciale, pour bien saisir les traits caractéristiques et
constans de la face des divers peuples de la terre ; la
considération fondamentale dont je m' occupe se rapportant à la
conformation et aux dimensions de la cavité du crâne, j' ai dû
diriger autrement mes recherches, c' est-à-dire examiner le
rapport de la hauteur des diverses têtes avec leur profondeur
dans la direction du grand axe du crâne, et avec leur largeur à
la partie antérieure et postérieure de ce même assemblage osseux,
reconnoître les fauts de sytrie dans les parties
correspondantes, et comparer dans le sujet vivant le volume de la
tête ou plutôt sa hauteur
p116
perpendiculaire avec la stature entière. Pour mettre plus d'
exactitude dans la termination de ces rapports, il étoit
nécessaire d' avoir un type primitif ou un terme fixe de
comparaison, et pouvois-je mieux choisir qu' en remontant aux
proportions si justement admirées de la tête de l' apollon, d'
après les dimensions prises parrard Audran.
p117
Mais je ne dois point dissimuler les obstacles qu' on éprouve
quand on veut appliquer à ces recherches les principes des
sciences mathématiques. Rien ne paroît moins susceptible d' une
évaluation pcise, que la capacité formée par l' assemblage des
os du crâne ; d' abord à la base, ce sont divers enfoncemens et
des éminences irrégulières ; on ne voit à la partie supérieure
que la grossière apparence d' un demi-ellipsoïde, dont la
convexité antérieure est différente de la postérieure et les
parties latérales applaties ; il résulte de-là que la section du
crâne, parallèlement à sa base, n' a qu' une ressemblance
éloignée avec une ellipse, et ne peut donner prise à aucune
espèce de calcul. Je me suis donc borné à des moyenscaniques
pour évaluer les dimensions du crâne de la manière la plus
approce. Pour déterminer d' abord une position constante pour
toutes les têtes, j' ai mis, comme le fait Camper, un support au
-dessous
p118
du trou occipital, et d' une hauteur telle que l' extrêmité de l'
apophise nasale et le rebord supérieur du conduit auditif externe
, fussent dans une ligne parallèle au plan horizontal. J' ai fait
ensuite construire un parallélipipède tel que les deux plans
verticaux, et qui se coupent à angles droits, sont fixés d' une
manière stable sur le plan horisontal, tandis que les deux autres
plans verticaux peuvent glisser en conservant leur parallélisme
respectif avec les deux premiers, et s' adapter ainsi aux divers
volumes des têtes ; le plan supérieur et disposé sur le sommet de
la tête, est libre et prend une position horizontale à l' aide d'
un niveau. Par cette disposition, les distances respectives des
plans parallèles donnent les idées les plus précises qu' on
puisse se former des trois dimensions de la tête, en faisant
attention d' ailleurs que le plan antérieur ne descend pas au-
dessous de l' apophise du coronal, pour laisser avancer les os de
la face. Quand le sujet est vivant, je me sers d' un compas
courbe pour déterminer les dimensions respectives de la tête et
du cne. On a par-là un objet de comparaison pour les crânes de
diverses formes et de divers volumes.
p135
division de l' aliénation mentale en espèces distinctes. I
. sur quels fondemens porte cette distinction ? c' est un
terme heureux que celui d' aliénation mentale, pour exprimer dans
toute leur latitude les diverses lésions de l' entendement ; mais
il importe d' autant plus d' analyser ses diverses espèces, de
les considérer séparément et d' enduire ensuite les règles du
traitement médical et celles de la police intérieure à suivre
dans les hospices. Je chercherai peu à discuter les distributions
arbitraires admises par les nosologistes pour les sanies,
puisqu' elles sont loin d' être le résultat d' une observation
réitérée faite sur un grand nombre d' aliénés. C' est assez de
faire sentir qu' une nouvelle division étoit nécessaire, et on a
vu au commencement de cet ouvrage sur quels fondemens porte celle
que je vais faire connoître ; mais je dois rappeler un obstacle
qui
p136
m' arrêta mes premiers pas lorsque je recueillois déjà des
matériaux pour la déterminer. Je manquois souvent de termes
propres pour rendre certains faits, et pour décrire avec leurs
nuances les diverses lésions des facultés intellectuelles ou
affectives. La langue grecque, si riche et si expressive, avoit
sans doute fourni à Hippocrate des noms variés, pour exprimer
les diversités dulire dans les maladies aigues ; l' histoire,
au contraire, de la manie considérée sous ses diverses formes, se
trouve très incomplette dans les écrits des anciens ; et ses
symptômes d' ailleurs peuvent-ils être saisis et tracés avec
exactitude, si on n' a pour terme de comparaison l' analyse des
fonctions de l' entendement humain. Il fallut donc revenir sur
mes pas, et faire entrer dans l' ordre de mes études les écrits
de nos psycologistes modernes, Locke, Harris, Condillac,
Smith, Stewart, etc., pour saisir et tracer toutes les vartés
comprises dans la dénomination générique d' aliénation de l'
esprit. Ce n' est d' ailleurs qu' aps avoir acquis ces
connoissances préliminaires, que j' ai pu maintenant établir sur
une base solide la distinction des espèces. Quelquefois c' est la
perception ou l' imagination qui éprouvent une altération
manifeste, sans aucune émotion intérieure : d' autres fois les
fonctions de l' entendement se conservent dans leur intégrité,
p137
et l' homme est impérieusement dominé par une activité turbulente
ou forcenée. Plusieurs maniaques joignent un délire périodique ou
continu à des actes d' extravagance ou de fureur. On remarque
certaines fois un état demence, une sorte de désorganisation
morale, c' est-à-dire, que les idées et les émotions intérieures
naissent sans aucun rapport avec les impressions des objets
extérieurs, qu' elles se sucdent, s' alternent, se choquent
sans aucun ordre et sans laisser aucune trace : c' est bien pire
encore lorsqu' on observe une sorte d' oblitération de la pensée,
une privation plus ou moins absolue d' idées et d' émotions, ou
même la nullité plus ou moins complette de l' idiotisme. Première
espèce d' aliénation. mélancolie ou délire exclusif sur un
objet. Ii. acception vulgaire du terme de lancolie. air
veur et taciturne, soupçons ombrageux, recherches de la
solitude ; tels sont les traits qui servent à caracriser
certains hommes dans la société, et rien n' est plus hideux que
cette image, quand on y joint l' idée
p138
de l' abus du pouvoir, la perversité des moeurs et un coeur
sanguinaire, comme l' ont fait Tibère et Louis Xi. L' histoire
des hommes célèbres dans la politique, les sciences et les beaux-
arts, a fait connoître des mélancoliques d' un caractère opposé,
c' est-à-dire, doués d' un
p139
ardent enthousiasme pour les chefs-d' oeuvre de l' esprit humain,
pour des conceptions profondes, et pour tout ce qu' il y a de
grand et de magnanime. Ce sont encore des mélancoliques d' une
sphère moins élee, qui animent et charment la société par leurs
affections vives et concentrées, et par tous les mouvemens d' une
ame forte et passionnée ; ils ne sont aussi que trop habiles à
faire leur propre tourment et celui de tout ce qui les approche,
par leurs ombrages et leurs souons chimériques.
p149
Vii. caractère spécifique de la mélancolie. délire exclusif
sur un objet, ou sur une série particulière d' objets ; nul
penchant à des actes de violence que celui qui peut être imprimé
par une idée dominante et chimérique ; d' ailleurs, libre
exercice de toutes les facultés de l' entendement ; certaines
fois égalité constante d' humeur, ou même état habituel de
satisfaction : dans d' autres cas, habitude d' abattement et de
consternation, ou bien aigreur de caractère qui peut être portée
jusqu' au dernier deg de misantropie, quelquefois dégoût
extrême de la vie.
p155
Xii. caractère spécifique de la manie sans délire. elle est
continue, ou marquée par des acs riodiques. Nulle altération
sensible dans les fonctions de l' entendement, la perception, le
jugement, l' imagination, la mémoire, etc. : mais perversion dans
les fonctions affectives, impulsion aveugle à des actes de
violence, ou même d' une fureur sanguinaire, sans qu' on puisse
assigner aucune idée dominante, aucune illusion de l' imagination
qui soit la cause déterminante de ces funestes penchans.
p160
Xvi. caractère spécifique de la manie délirante. elle est
continue ou périodique, avec des retours réguliers ou irréguliers
des acs. Elle est marquée au moral comme au physique par une
vive excitation nerveuse, par la lésion d' une ou de plusieurs
fonctions de l' entendement, avec des émotions gaies ou tristes,
extravagantes ou furieuses.
p165
Xx. caractère spécifique de lamence. succession rapide,
ou plutôt alternative non interrompue d' ies isolées et d'
émotions légéres et disparates, mouvemens désordonnés et actes
continuels d' extravagance, oubli complet de tout état antérieur,
abolition de la faculté d' appercevoir les objets par des
impressions faites sur les sens, oblitération du jugement,
p166
activité continuelle sans but et sans dessein, et sorte d'
existence automatique. Cinquième espèce d' aliénation.
idiotisme ou oblitération des facultés intellectuelles et
affectives. Xxi. la langue fraaise peu riche pour exprimer
les diverses degrés de sanie. l' auteur des synonimes
fraois a beau vouloir tracer les nuances de ce qu' on appelle
dans la société fou, extravagant, insen, idiot, imbécile ,
etc., il ne fait qu' indiquer le dernier terme de l' échelle de
graduation, de la raison, de la prudence, de la tration, de
l' esprit, etc. ; mais il est loin de s' élever à des notions
exactes sur les divers états de vésanie. L' idiotisme qu' il
définit un défaut de connoissance, n' est, à le considérer dans
les hospices, qu' une abolition plus ou moins absolue, soit des
fonctions de l' entendement, soit des affections du coeur : il
peut tenir à des causes variées, l' abus des plaisirs énervans,
l' usage des boissons narcotiques, des coups violens reçus sur la
tête, une vive frayeur ou un chagrin profond et concentré, des
études forcées et dirigées sans principes, des tumeurs dans l'
intérieur
p167
du cne, une ou plusieurs attaques d' apoplexie, l' abus
excessif des saignées dans le traitement des autres esces de
manie. La plupart des idiots ne parlent point, ou il se bornent à
marmoter quelques sons inarticulés ; leur figure est inanimée,
leur sens tés, leurs mouvemens automatiques ; un état
habituel de stupeur, une sorte d' inertie invincible forment leur
caractère. J' ai eu long-temps sous mes yeux dans les infirmeries
de Bicêtre, un jeune sculpteur, âgé de vingt-huit ans, épuisé
antérieurement par des excès d' intempérance ou les plaisirs de
l' amour : il restoit presque toujours immobile et taciturne, ou
bien, par intervalles, il laissoit échapper une sorte de rire
niais et stupide ; nulle expression dans les traits de sa figure,
nul souvenir de son état antérieur ; il ne marquoit jamais de l'
appétit, et l' approche seule des alimens mettoit en jeu les
organes de la mastication ; il restoit toujours couché, et a fini
par tomber dans une fièvre hectique qui est devenue mortelle. Les
idiots forment une espèce très-nombreuse dans les hospices, et
leur état tient souvent aux suites d' un traitement trop actif
qu' ils ont subi ailleurs. Ceux qui le sont d' origine, ont
quelquefois un vice de conformation dans le crâne. J' en ai
décrit / section Iii / deux exemples remarquables.
p168
Xxii. les émotions profondes propres à produire l' idiotisme
. certaines personnes, douées d' une sensibilité extrême,
peuvent recevoir une commotion si profonde par une affection vive
et brusque, que toutes les fonctions morales en sont comme
suspendues ou oblitérées : une joie excessive, comme une forte
frayeur, peuvent produire ce pnone si inexplicable. Un
artilleur, l' an deuxième de la république, propose au comité de
salut public le projet d' un canon de nouvelle invention, dont
les effets doivent être terribles ; on en ordonne pour un certain
jour l' essai à Meudon, et Robespierre écrit à son inventeur
une lettre si encourageante, que celui-ci reste comme immobile à
cette lecture, et qu' il est bient envoyé à Bicêtre dans un
état complet d' idiotisme. à la même époque, deux jeunes
quisitionnaires partent pour l' are, et dans une action
sanglante, un d' entre eux est tué d' un coup de feu à côté de
son frère ; l' autre reste immobile et comme une statue à ce
spectacle : quelques jours après on le fait ramener dans cet état
à sa maison paternelle ; son arrivée fait la même impression sur
un troisième fils de la même famille ; la nouvelle
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de la mort d' un de ses frères, et l' aliénation de l' autre, le
jettent dans une telle consternation et une telle stupeur, que
rien ne réalisoit mieux cette immobilité glacée d' effroi qu' ont
peinte tant de poètes anciens ou modernes. J' ai eu long-temps
sous mes yeux ces deux frères infortunés dans les infirmeries de
Bitre ; et ce qui étoit encore plus déchirant, j' ai vu le
père venir pleurer sur ces tristes restes de son ancienne famille
. Xxiii. l' idiotisme, espèce d' aliénation la plus fquente
dans les hospices, guérie quelquefois par un accès de manie.
il est malheureux que l' espèce d' alnation en général la
plus incurable soit la plus fréquente dans les hospices ; elle
forme à Bicêtre le quart du nombre total des insensés, et peut-
être que la cause en est facile à indiquer. Cet hospice est
regarcomme un lieu de retraite et de rétablissement pour ceux
qu' on a soumis d' abord à un traitement très-actif par les
saignées, les bains et les douches. Un grand nombre arrivent dans
un état de foiblesse, d' atonie et de stupeur, au point que
plusieurs succombent quelques jours après leur arrivée : certains
reprennent leurs facultés intellectuelles
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par letablissement gradué des forces ; d' autres éprouvent des
rechûtes dans la saison des chaleurs ; quelques-uns, sur-tout
dans la jeunesse, après avoir resté plusieurs mois, ou même des
anes entières, dans un idiotisme absolu, tombent dans une sorte
d' acs de manie qui dure 2 o, 25 ou 3 o jours, et auquel
succède le rétablissement de la raison, par une sorte de action
interne. J' ai indiqué des faits semblables dans la section Ie,
sur la manie périodique ; mais il importe d' en faire connoître
un dans tous ses détails. Un jeune militaire de 22 ans est
frappé de terreur par le fracas de l' artillerie, dans une action
sanglanteil prend part aussitôt après son arrivée à l' armée
; sa raison en est boulevere, et on le soumet ailleurs au
traitement par la thode ordinaire des saiges, des bains et
des douches ; à la dernière saignée, la bande se délie, il perd
une grande quantité de sang, et il tombe dans une syncope très-
prolone ; on le rend à la vie par des toniques et des
restaurans, mais il reste dans un état de langueur qui fait tout
craindre, et ses parens, pour ne point le voir périr sous leurs
yeux, l' envoyent à Bicêtre ; le père, dans une visite qu' il
lui rend plusieurs jours après, le regarde comme désespé, et
lui laisse quelques secours en argent pour améliorer son état. Au
bout d' un mois, dé
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s' annoncent les signes précurseurs d' un accès de manie,
constipation, rougeur du visage, volubilité de langue ; il sort
de son état d' inertie et de stupeur, se promène dans l'
intérieur de l' hospice, se livre à mille extravagances folles et
gaies : cet accès dure dix-huit jours, le calme revient avec le
tablissement gradué de la raison, et le jeune homme, après
avoir encore passé plusieurs mois dans l' hospice pour assurer sa
convalescence, a été rendu plein de sens et de raison au sein de
sa famille.
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