partiale du prejuge; la Pleiade, qui est en realite aussi
aristocratique que savante, ne pouvait admirer Villon sans
se condamner elle-meme; mais, ce moment passe, le charme
recommence: Regnier est un disciple de Villon; Patru le loue;
Boileau a senti quel etait son rang; La Fontaine l'admire;
Voltaire l'imite; les erudits litteraires du XVIIe et du XVIIIe
siecle, Colletet, le P. Du Cerceau, l'abbe Massieu, l'abbe
Goujet, parlent de lui comme il convient, en meme temps que
Coustelier et Formey le reimpriment, que La Monnoye l'annote, et
que Lenglet-Dufresnoy prepare une nouvelle edition. De [P. XVI]
nos jours, une justice encore plus eclatante lui a ete rendue.
L'edition de Prompsault, a laquelle M. Lacroix est venu ajouter,
pourrait etre acceptee comme definitive, au moins quant au
texte, si M. Vitu n'en promettait une, qui, en profitant des
precedentes, donnera sans doute le dernier mot. Tous ceux qui
ont parle incidemment de Villon, MM. Sainte-Beuve, Saint-Marc
Girardin, Chasles, Nisard, Geruzez, Demogeot, Genin, et d'autres
encore, l'ont bien caracterise. En meme temps qu'eux, M. Daunou
a ecrit sur notre poete une longue etude, inseree dans le
_Journal des Savants_, et M. Theophile Gautier, dans l'ancienne
_Revue francaise_, des pages vives, aussi justes que pleines de
verve, qui ont ete recueillies dans ses _Grotesques_. Enfin, en
1850 M. Profillet, et en 1856 un professeur allemand, M. Nagel,
ont pris Villon pour sujet d'un travail special; l'annee
derniere (1859), M. Campeaux lui a consacre un excellent
travail, auquel, pour etre meilleur, il ne manque peut-etre
qu'une plus ancienne et plus familiere connaissance des
alentours. Tous sont, avec raison, unanimes a reconnaitre
l'originalite, la valeur aisee et puissante, la force et
_l'humanite_ de la poesie de Villon. Pour eux tous, et ce
jugement est aujourd'hui sans appel, Villon n'est pas seulement
le poete superieur du XVe siecle, mais il est aussi le premier
poete, dans le vrai sens du mot, qu'ait eu la France moderne, et
il s'est ecoule un long temps avant que d'autres fussent dignes
d'etre mis a cote de lui. L'appreciation est maintenant juste et
complete; d'autres viendront qui le loueront avec plus ou moins
d'eclat et de talent, qui le jugeront avec une critique plus
ou moins solide ou brillante; mais desormais les traits de la
figure de Villon sont arretes de facon a ne plus changer, et
ceux qui entreprendront d'y revenir ne pourront rester dans
la verite qu'a la condition de s'en tenir aux memes [P. XVII]
contours."
Plus loin, M. A. de Montaiglon, passant legerement sur le _Petit
Testament_, "qui n'est que spirituel, " et sur quelques pieces
qu'il regrette de trouver dans le _Grand Testament_, ajoute:
"Ce n'est pas la qu'il faut chercher Villon, mais dans la partie
populaire et humaine de son oeuvre. On ne dira jamais assez
a quel point le merite de la pensee et de la forme y est
inestimable. Le sentiment en est etrange, et aussi touchant que
pittoresque dans sa sincerite; Villon peint presque sans le
savoir, et en peignant il ne pallie, il n'excuse rien; il a meme
des regrets, et ses torts, qu'il reconnait en se blamant, mais
dont il ne peut se defendre, il ne les montre que pour en
detourner. Je connais meme peu de lecons plus fortes que la
ballade: _Tout aux tavernes et aux filles_. La bouffonnerie,
dans ses vers, se mele a la gravite, l'emotion a la raillerie,
la tristesse a la debauche; le trait piquant se termine avec