Download PDF
ads:
Ce document est extrait de la base de données
textuelles Frantextalisée par l'Institut National de
la Langue Fraaise (INaLF)
Synthèse chimique [Document électronique] / par M. Berthelot
p33
Exposition historique des progrès de la chimie organique. Les
éléments et les principes immédiats. I rechercher les éléments
des corps, et tâcher de les résoudre par l' analyse en des êtres
plus simples, c' est là une question qui s' est présentée dès l'
antiquité à l' esprit humain. Mais les philosophes ont tout d'
abord identifié cette analyse avec l' idée d' une simple division
canique, propre à fournir des éléments toujours visibles et
sensibles, quoique de plus en plus atténués. Les opinions de l'
antiquité relativement aux atomes et à l' homéomérie se
rapportent à ce genre de conceptions. L' homéomérie envisage tous
les corps comme formés de petits éléments semblables à l'
ensemble ; l' or, par exemple, est composé par des parcelles d'
or, et chaque organesulte d' une infinité de petits organes
semblables : /... /.
p34
Un cristal forde petits cristaux, semblables entre eux et au
cristal total, offrirait l' exemple le plus parfait de cette
conception singulière, dans laquelle on pourrait retrouver
quelques germes confus des idées actuelles sur la constitution
des corps émentaires et sur celle des principes immédiats. La
doctrine atomique se rapproche davantage de nos théories
moléculaires ; elle en exprime tout un côté avec une netteté que
l' on n' a point surpassée ; mais elle demeure étrangère à l'
idée proprement dite de la combinaison. En effet, la doctrine
atomique conçoit tous les êtres comme formés par un certain
nombre d' atomes ou d' éléments simples, indivisibles,
indestructibles, dont les assemblages variés constituent tous les
êtres vivants et inanimés ; de la même manière que les lettres de
l' alphabet peuvent former par leurs associations les mots les
plus divers : /... /. à côté de ces deux théories relatives à la
constitution de la matière, Empédocle en formulait une autre, d'
un ordre un peu différent : c' est la doctrine des quatre
éléments, le feu, la terre, l' air et l' eau, longtemps en
honneur au moyen
ads:
Livros Grátis
http://www.livrosgratis.com.br
Milhares de livros grátis para download.
p35
âge, bien qu' elle ait été abandonnée à la fin du siècle dernier.
lange obscur d' idées physiques, relatives aux trois états de
corps, et d' idées cosmogoniques, cette doctrine s' était
transformée dans l' intervalle, de façon à se rapprocher des
opinions modernes de la chimie sur la combinaison et sur la
formation des corps composés. Au moyen de ces éléments, de ces
atomes, de ces parties homogènes, les premiers philosophes
naturalistes s' efforçaient de comprendre et d' expliquer l'
univers, non sans exciter la surprise des métaphysiciens, qui
poursuivaient par la logique pure la recherche des causes
premières. Mais s' il est curieux de porter un moment l'
attention sur ces premières tentatives, mélange confus d' erreurs
et de vérités, déduites par le raisonnement de l' observation
générale des phénomènes naturels, il est nécessaire de rappeler
que les anciens ne se sont jamais placés au point de vue des
sciences physiques modernes, fondées exclusivement sur l'
observation systématique de la nature et sur l' exrimentation.
Jamais ils ne sont parvenus à la conception chimique proprement
dite des êtres naturels, en tant que formée par l' agrégation et
par le mélange d' un certain nombre de principes immédiats,
lesquels sont eux-mêmes composés d' une manière toute différente
au moyen des corps simples ou éléments. à plus forte raison n'
ont-ils jamais conç l' idée de la synthèse chimique, qui se
propose de construire par l' art et à l' aide des éléments les
principes immédiats des êtres matériels. C' est surtout au moyen
âge que les alchimistes, entraînés en partie par l' espérance de
faire de l' or, en partie par l' étude de la composition des
substances propres à guérir les maladies, ont nétré dans le
problème chimique véritable et commencé à poursuivre l' étude
proprement dite des
p36
transformations de la matière. Ils sont les précurseurs réels des
sciences expérimentales. Mais ce n' est point une tâche facile
que d' atteindre et d' isoler les éléments indécomposables, et
surtout de reconnaître qu' on les a réellement atteints, au sein
destamorphoses perpétuelles de la matière ; celles-ci ne
mettant à nu les éléments que pour les faire rentrer aussitôt
dans de nouvelles combinaisons. L' enchaînement des
transformations est indéfini, et, sans le concours d' un
raisonnement subtil, appuyé sur la connaissance et sur la
discussion d' un très grand nombre de phénomènes, rien ne
permettrait de distinguer le corps simple du corps composé. Cette
difficulté fondamentale, les obstacles opposés par les opinions
généralement reçues au moyen âge, l' ignorance d' un nombre
immense de faits, et particulièrement celle de l' existence et
des propriétés des substances gazeuses, tout s' est réuni pour
empêcher les alchimistes de constituer d' une manière
scientifique l' objet de leurs études. Cependant ils sont arrivés
ads:
à plus d' un résultat essentiel, en ce qui touche les matières
organiques. Ainsi l' étude des substances employées comme
dicaments les a conduits à certaines idées qui sont, à
proprement parler, l' origine historique de notre conception des
principes immédiats. En effet, on reconnut que les propriétés
actives de plusieurs substances végétales ne résident point dans
l' être tout entier indifféremment, mais plus particulièrement
dans certaines de ses parties que l' on pouvait réussir à isoler.
Les exemples les plus frappants de cette vérité ont été fournis
par le principe enivrant du vin, ou alcool, par les huiles
volatiles du citron, de l' oranger, de la rose ; dans ces huiles
side la proprté odorante de la fleur ou du fruit tout entier.
De là, en grande partie, les opinions et les recherches des
philosophes arabes sur l' essence propre de chaque matière ; de
là surtout la découverte des méthodes propres à isoler cette
essence dans les végétaux. C' est ainsi que les arabes furent
p37
conduits à employer la distillation. Les noms mêmes donnés aux
produits d' une telle analyse, les mots d' essence , de sel
essentiel , marquent la confusion d' une idée chimique et d' une
idée métaphysique, genre de confusion qui se retrouve à chaque
pas dans l' histoire de l' alchimie. On en vint presque aussitôt
à identifier chacune des qualités d' une substance naturelle avec
un être particulier, et à regarder la substance naturelle comme
sultant de l' assemblage de certains êtres, dans lesquels
sidaient toutes ses propriétés. " en observant toutes les
qualités de l' or, dit Bacon,... etc. " . Dans ces paroles de
Bacon, écrites au Xviie siècle, se retrouvent en partie les
prétentions et les opinions scolastiques. La matière et ses
qualités sont conçues comme des êtres distincts, et l' on peut
faire varier à volonté les dernières, une à une et par degrés
successifs. Les alchimistes allaient plus loin encore : pour eux
les qualités n' étaient pas seulement des êtres distincts des
corps eux-mêmes, mais des êtres vraiment matériels. Toute qualité
de la matière se trouvait ainsi identifiée avec une matière
particulière : la saveur douce est l' attribut d' un principe
doux spécifique, souvent confondu avec le sucre et qui se
retrouve dans toutes les substances douces ; l' amertume
appartient à un principe amer,guisé de diverses manières, mais
toujours identique à lui-même ; l' odeur réside dans l' arome ou
esprit recteur ; l' acidité, dans un principe
p38
acide général, commun à tous les corps acides ; l' alcalinité,
dans un principe alcalin, toujours identique à lui-même, etc.
Jusqu' à la fin du siècle dernier, les chimistes se sont proposé
d' isoler ces êtres illusoires, l' esprit recteur, le principe
amer, l' acide universel, etc. Sans la connaissance de leurs
idées sur ce point, on ne saurait comprendre ni les opinions
relatives au phlogistique ou principe inflammable, qui résidait
surtout dans le soufre, le charbon, les huiles, les corps
combustibles ; ni même l' assimilation établie par Lavoisier
entre la matière de la lumière, celle de la chaleur et les
matières de l' oxygène, de l' azote ou de l' hydrogène, toutes
ces matières étant envisagées également et aume titre comme
des êtres simples et substantiels. En se guidant d' après de
semblables conceptions sur l' identité des qualités des êtres
avec leurs principes immédiats, on ne pouvait arriver à quelque
idée nette de l' analyse chimique précise, telle que nous la
comprenons aujourd' hui. Loin de décomposer la matière dans ses
qualités, envisagées d' une manière abstraite et inpendante de
la matière même, notre analyse s' efforce au contraire de
soudre complétement la matière " en types finis... etc. " .
Pourtant on pressentait déjà l' existence de pareils principes
immédiats ; car, s' il était inexact de distinguer d' une manière
absolue les qualités de la matière, de la matière elle-même, pour
en faire autant d' êtres distincts, cependant il était vrai de
dire que telle ou telle qualité spéciale d' une substance réside
souvent, non dans l' ensemble de cette substance, mais dans l'
une de ses parties que l' on peut parvenir à isoler.
p39
Ii les premières tentatives pour opérer l' analyse des
substances organiques conduisirent à des résultats si étranges,
que le problème, abordé avec quelque suite à la fin du Xviie et
au commencement du Xviiie siècle, parut tout d' abord plus loin
que jamais d' une solution véritable. On avait tenté d' appliquer
d' une manière générale à l' analyse des végétaux et des animaux
cette méthode de distillation que nous avons dite être si propre
à isoler les essences. En procédant par cette voie, à la suite de
travaux et d' analyses poursuivies avec soin pendant bien des
années, on reconnut, non sans surprise, que toutes les substances
gétales, soumises à la distillation, fournissent les mêmes
produits généraux : de l' eau, de l' huile, du phlegme, de la
terre, etc. ; les substances animales donnent naissance aux mêmes
produits, et de plus, à l' alcali volatil. Cette identité des
produits généraux fournis par l' analyse d' êtres si divers
frappa d' étonnement l' esprit des chimistes. Le froment et la
ciguë, par exemple, " l' aliment et le poison, " donnent
naissance aux mêmes produits généraux, et ces produits n' ont
pour ainsi dire rien de commun avec les substances qui les ont
fournis. En présence desultats ainsi éloignés du point de
départ, il fallut bien se résigner à reconnaître que les moyens
d' analyse mis en oeuvre avaient dénatules matières naturelles
. Les corps obtenus dans cette analyse étaient évidemment des
substances de nouvelle formation ; et il demeura prouvé que la
distillation ne sépare point en général les principes végétaux
dans leur état premier ; mais le plus souvent elle les détruit et
les décompose.
p40
Toutefois ces premières et pénibles études n' ont point été
complétement perdues. Si elles n' ont jeté presque aucun jour sur
l' analyse immédiate des végétaux et des animaux, elles ont
cependant concouru à établir certaines idées générales, qui sont
demeurées acquises à la science. Par ces études, en effet, on a
reconnu que les vétaux et les animaux, ainsi que les produits
qui en tirent leur origine, sont les seules substances capables
de fournir à la distillation de l' huile et des produits
empyreumatiques ; ce caractère les distingue entièrement des
substances minérales, qui n' en produisent jamais. C' est le
point depart de la distinction qui demeura dès lors établie
entre la chimie minérale et la chimie organique. En même temps on
fut mis sur la voie qui a conduit à découvrir les véritables
éléments des substances végétales et ceux des substances animales
. En effet, il était prouvé que les végétaux sont formés tous en
général des mêmes éléments, puisqu' ils fournissent les mes
produits de décomposition, l' eau, l' huile, la terre
charbonneuse, etc. Une conclusion toute pareille s' applique aux
animaux. Il y a plus : les éléments contenus dans les animaux
devaient être, jusqu' à un certain point, communs entre les
animaux et les végétaux. Car ces animaux fournissent les mêmes
produits de distillation que les végétaux, et de plus ils donnent
naissance à un principe particulier, l' alcali volatil, lequel
doit répondre à quelque élément propre. Ce dernier caractérise en
général les substances animales et les distingue des substances
gétales. Un pas encore, la nature composée de l' eau, des
huiles pyrogénées et de l' alcali volatil étant connue, ainsi que
la nature simple du carbone, de l' hydrogène, de l' oxygène et de
l' azote, il devint facile de conclure que ces quatre substances
sont les éléments fondamentaux de tout être vivant. C' est là un
sultat tout à fait capital : il suffirait seul pour établir que
les premières études analytiques, quelle que soit d' ailleurs
leur grossièreté et leur imperfection
p41
inévitables, n' ont point été inutiles. Mais c' est par les
travaux de la chimie pneumatique que l' interprétation de ces
premières études a pris une clarté subite. La découverte des gaz,
celle de la théorie véritable de la combustion, lamonstration
de l' invariabilité du poids des corps dans leurs combinaisons,
celle de la permanence des corps simples ou éléments véritables à
travers larie infinie des métamorphoses, en un mot, l'
ensemble des découvertes de Lavoisier et de ses contemporains,
voilà les travaux qui ont établi la science sur les bases
actuelles. Ils ont donné à la chimie organique, aussi bien qu' à
la chimie minérale, son fondement analytique définitif. En chimie
organique, il futmontré que les végétaux sont formés
principalement de carbone, d' hydrogène et d' oxygène, et que les
animaux renferment les mêmes éléments et de plus de l' azote.
Cette simplicité dans la composition élémentaire des êtres
vivants est d' autant plus frappante, que les mes éléments font
également partie des substances minérales. Mais la connaissance
des éléments en chimie organique ne fournit que des données bien
générales et bien insuffisantes, surtout si l' on se propose de
refaire les combinaisons naturelles qui résultent de l'
association des mêmes éléments. L' histoire de la science fournit
à cet égard les preuves les plus décisives. En effet, tandis que
la synthèse mirale résultait presque imdiatement, et s le
Xviiie siècle, de la connaissance des éléments et de celle de
leur proportion au sein des composés naturels, au contraire, la
synthèse organique demeurait absolument impossible à cette époque
, en raison de la difficulté plus grande et à peine encore
soupçonnée du problème. Avant l' époque qui nous occupe, les
idées étaient bien loin d' être fixées sur les obstacles que
présente la formation des matières organiques et sur les preuves
par lesquelles on peut en démontrer la réalisation. Il suffira de
dire, par exemple, que Glauber, au Xviie siècle, croyait avoir
réalisé
p42
la synthèse du vinaigre, en mêlant de l' acide vitriolique /
sulfurique /, de la crème de tartre et de l' eau. Dans un temps
plus voisin de nous, c' est-à-dire dans la seconde moitié du
Xviiie siècle, Baumé s' imaginait avoir composé par voie de
synthèse l' acide de borax, en abandonnant à l' air pendant un
certain temps, dans un milieu humide, un mélange d' argile grise,
de graisse et de fiente de vache récente. Comment s' étonner de
semblables illusions, alors qu' on discutait si les acides
gétaux sont tous les modifications d' un même acide, si l'
acide saccharin / oxalique / préexiste dans le sucre qui le
fournit sous l' influence de l' acide nitreux ; alors que l' on
regardait le sucre comme " un hépar végétal, où le principe
huileux est rendu miscible à l' eau par un acide ; " l' alcool
comme formé d' une huile très-atténuée, intimement unie à de l'
eau par l' intermédiaire d' un acide, et l' eau elle-même comme
un corps simple, un élément ? On peut affirmer qu' au Xviiie
siècle les bases de la science étaient si peu affermies, les
analyses si grossres encore, les propriétés propres à isoler et
à caractériser les corps si mal définies, qu' il eût été presque
impossible de démontrer la réalité d' une synthèse organique,
alors même qu' on eût ussi par hasard à la réaliser. Iii
cependant, vers la seconde moitié du Xviiie siècle, les idées
relatives aux matières organiques acquirent peu à peu une
précision plus grande. éclairés par les contradictions observées
entre les propriétés des produits d' une analyse et celles de la
substance végétale ou animale analysée, les chimistes
commencèrent à se préoccuper d' isoler dans leur état primitif
les " principes immédiats " des végétaux.
p43
Tantôt, pour y parvenir, on profitait simplement du jeu des
forces naturelles qui déterminent l' extravasion de matières
spéciales, telles que le camphre, les gommes, le coton, les
sines, etc. ; tantôt on rendait plus facile cette séparation
spontanée par l' incision des cellules et des vaisseaux des
plantes et par le concours d' une pression plus ou moins
énergique ; tantôt enfin on recourait à l' action des dissolvants
neutres, tels que l' eau froide, l' eau chaude et l' alcool. Dans
tous les cas, on évitait soigneusement de faire intervenir, soit
une température élevée, soit des agents chimiques puissants,
capables de détruire l' arrangement primitif des principes
immédiats dans les tissus organisés. Bref, on se proposait, pour
la première fois, d' obtenir les principes imdiats, tels qu'
ils préexistent et avec les propriétés mêmes qu' ils possèdent à
l' état isolé, ou qui résultent de leur mélange dans les êtres
vivants. Un grand nombre de principes immédiats définis, les uns
de nature acide, tels que les acides tartrique, oxalique, malique
, citrique, lactique, urique, formique, gallique, benzoïque, etc.
; les autres privés des propriétés acides, tels que l' urée, les
sucres de canne et de lait, la cire des calculs biliaires /
cholestérine /, etc., furent successivement isolés et
caractérisés dans le cours du Xviiie siècle. Mais si l'
existence des principes immédiats et les méthodes propres à les
isoler sans altération furent dès lors connues d' une manière
générale, cependant on ignora encore pendant bien des années l'
art de les définir et d' en spécifier avec certitude l'
individualité. Cette incertitude n' a rien de surprenant ; elle
était commune à la chimie tout entière. En
p44
effet, on méconnaissait alors en chimie organique, aussi bien qu'
en chimie mirale, un fait fondamental : à savoir qu' un
principe imdiat est toujours formé des mêmes éléments, unis
dans les mêmes proportions définies, et qu' il est doué de
propriétés constantes et caractéristiques. Aussi, dans les
analyses et dans les traités de la fin du Xviiie siècle, à côté
de certains principes immédiats définis véritables, tels que ceux
dénommés plus haut, on voit figurer une multitude d' autres
prétendus principes imdiats, qui sont privés de toute propriété
définie. On y trouve confondus sous une même dénomination les
corps les plus dissemblables. Pour caractériser cet état de la
science, il suffit de rappeler l' analyse du quinquina De
Fourcroy, donnée alors comme modèle, et la liste des principes
immédiats végétaux inscrite dans la philosophie chimique du
me auteur. Ce sont : la sève, le muqueux, le sucre, l' albumine
gétale, les acides végétaux, l' extractif, le tannin, l' amidon
, le glutineux, la matière colorante, l' huile fixe, la cire
gétale, l' huile volatile, le camphre, lasine, la gomme-
sine, le baume, le caoutchouc, le ligneux, le suber. " en
parant ces vingt genres de composés d' un végétal, dit
Fourcroy, on fait son analyse très-exacte. " cette liste est un
curieux témoignage de l' état des opinions et du degré d'
avancement de l' analyse organique immédiate jusqu' au
commencement du Xixe siècle. En effet, il est difficile d'
imaginer une méthode d' analyse aussi contraire aux ies exactes
que nous avons aujourd' hui : dans l' énumération précédente, des
principes immédiats véritables, tels que le camphre et l' amidon,
se trouvent juxtaposés avec des mélanges compliqués et indéfinis,
tels que la sève et l' extractif. Mais, pour fixer avec
exactitude ce qu' il faut entendre par les principes immédiats,
il étaitcessaire de connaître d' abord avec plus de précision
qu' on ne pouvait le faire à
p45
cette époque la signification même de la combinaison chimique.
Jusqu' alors les caractères de la combinaison étaient demeurés
vagues et confondus avec ceux du simple mélange et de la
dissolution. Aussi voit-on s' élever à cette époque plus d' une
discussion singulière sur la nature propre de beaucoup de
matières végétales, dont on avait d' abord admis l' existence
comme principes distincts. C' est ainsi que Fourcroy et
Vauquelin regardent en I 8 o 7 les acides formique et lactique
comme de l' acide acétique impur, uni à des matières animales
particulières ; ils identifient également avec l' acide acétique
l' acide contenu dans les eaux sures des amidonniers. D' autres
chimistes regardent l' acide malique comme résultant de l' union
de l' acide acétique avec un corps extractiforme, et identifient
l' acide succinique avec l' acide pyromucique, l' acide
hippurique avec l' acide benzoïque, etc. Toutes ces confusions
témoignent du vague et de l' incertitude qui régnaient à cette
époque sur l' existence et les propriétés spécifiques des
principes immédiats. Du reste, la même confusion existait en
chimie minérale. Lescouvertes qui l' ont dissipée tiennent de
trop près au sujet qui nous occupe pour qu' il ne soit pas
convenable de les rappeler brièvement. Au commencement du Xixe
siècle, deux opinions partageaient les esprits des chimistes. Les
uns pensaient que les corps entrent en combinaison suivant des
proportions progressives et indéfinies, comprises entre deux
limites extrêmes. Dans certains cas particuliers, les composés
peuvent être isolés par cristallisation, volatilisation, etc. ;
ils possèdent alors des propriétés constantes et une composition
invariable. Mais cette fixité dans les phénomènes est due à la
nature particulière des forces qui déterminent laparation des
composés. Au contraire, dans le cas le plus général, les
propriétés des composés varient d' une manière indéfinie et
corrélativement à la variabilité continue de leur composition.
Telles étaient les opinions de Berthollet.
p46
Au contraire, d' après Proust, tout corps susceptible d' être
distingué par certaines propriétés spécifiques est constitué
toujours par les mêmes éléments, unis dans les mêmes proportions.
Tantôt ces éléments donnent naissance à un composé unique et
défini ; tantôt ils engendrent plusieurs composés. Mais, dans le
dernier cas, le poids de l' un des éléments demeurant constant
dans ces divers composés, le poids de l' autre élément s'
accroîtra par sauts brusques, en passant de l' un à l' autre ;
jamais il n' éprouvera une variation continue, indéfinie. Loin de
là : tout composé compris entre ces deux limites définies sera un
simple mélange, résoluble sans altération dans les composés
fondamentaux. Voilà quelles étaient les théories contraires qui
se disputaient le domaine de la science. Aujourd' hui la
controverse est terminée ; tout le monde s' accorde à regarder la
seconde opinion comme la seule véritable : elle constitue la
loi des proportions définies . Sans insister davantage sur ce
point, il suffira de dire que les théories atomiques de Dalton
et de Wollaston ne tardèrent pas à mettre hors de doute la loi
des proportions définies et à en préciser le caractère, en la
rattachant à une autre loi, celle des proportions multiples .
En vertu de cette dernière loi, si deux éléments s' unissent en
plusieurs proportions, le poids de l' un d' eux demeurant
constant, les poids de l' autre qui concourent à former les
divers composés sont des multiples simples les uns des autres. à
ces deux lois, on joignit presque aussitôt celle des
équivalents chimiques , d' après laquelle les rapports des
poids suivant lesquels deux corps simples s' unissent entre eux
sont les mêmes que les rapports suivant lesquels ils s' unissent
à tous les autres corps. Ces trois lois capitales complétèrent l'
édifice chimique fon trente ans auparavant sur la conservation
du poids et de la nature des corps simples dans toutes les
actions. De la chimie minérale, leur application passa à la
chimie organique ;
p47
elle donna aussitôt aux études analytiques une direction précise
et une signification détermie. Iv deux genres de recherches
furent dès lors entrepris. D' une part, on poursuivit l' étude
analytique des substances végétales et animales, et leur
solution complète en un certain nombre de types ou principes
immédiats, définis par des propriétés physiques et chimiques
invariables. D' autre part, un principe immédiat défini étant
donné, on chercha par quels procédés on pouvait enterminer la
composition, l' équivalent, la formule et, par une suite
cessaire, la fonction chimique. Pour bien comprendre la marche
de la science, il est nécessaire de remarquer que ce double
problème n' avait, jusqu' au Xixe siècle, aucune signification
précise. On ne pouvait évidemment songer à le poser, tant que l'
on avait admis qu' un même principe immédiat variait dans la
proportion de ses éléments et dans la nature de ses propriétés.
Parlons d' abord de la résolution des matières organiques en
principes immédiats. C' est le point de départ de toutes les
recherches ultérieures. En effet, " la base de la chimie
organique,... etc. " . Ce qui caractérise ce nouveau point de vue
, introduit dans la science par M Chevreul,
p48
ce n' est point l' idée même des principes immédiats, en tant que
matériaux préexistants des êtres formés par leur assemblage.
Cette ie avait déjà cours dans la chimie organique. Mais l'
objet fondamental, c' est la conception des principes immédiats,
en tant que substances does de propriétés physiques et
chimiques définies, invariables. Voilà précisément ce qui
autorise à envisager ces principes comme le terme extrême et la
vraie base de l' analyse ; voilà ce qui donne à leur étude un
criterium exact, à savoir l' impossibilité de séparer d' un
principe immédiat plusieurs matières sans le naturer. Tant que
cette idée si simple, et cependant si cachée, n' a pas été
comprise et accepe dans la science, la marche de la chimie
organique est demeurée privée de toute base précise, et toujours
incertaine. Les dissolutions et les mélanges avaient été
perpétuellement confondus avec les combinaisons véritables.
Jamais on n' avait songé à soumettre les produits obtenus par une
première analyse à un système régulier d' épreuves, pour
constater s' ils étaient constitués par une matière unique, ou
bien si une analyse nouvelle pouvait en extraire plusieurs
matières distinctes, sans changer leur nature. Un semblable
système d' épreuves raisonnées fut appliqué, pour la première
fois, dans les recherches sur les corps gras d' origine
animale . Il repose essentiellement sur la méthode des lavages
successifs, laquelle fournit à la fois un procédé deparation,
généralement inoffensif, et un contrôle précis des résultats
obtenus dans cette séparation. Par suite de ces recherches, l'
étude des huiles, des beurres et des graisses fut ramee à des
bases certaines et prit une clarté inattendue. Il est facile de
reconnaître, au premier coup d' oeil, que ces substances sont
extrêmement dissemblables quant à la solubilité, à l' odeur, à la
consistance, etc. ;
p49
elles varient dans leurs propriétés par degrés successifs et,
pour ainsi dire, continus. Elles sont pourtant formées par le
lange indéfini d' un petit nombre de principes finis, à
savoir l' oléine, la margarine, la stéarine, la butyrine, la
phocénine, etc. En se fondant sur les méthodes rales qui
viennent d' être signalées, l' existence de ces divers principes
fut établie, tantôt avec certitude et par une analyse complète,
tantôt avec probabilité et par des inductions légitimes, fondées
sur l' action graduelle des dissolvants. Parmi ces résultats, il
en est un qui mérite une attention toute particulière, et qui se
rattache de la façon la plus directe aux études synthétiques. Il
s' agit de la possibilité de représenter scientifiquement les
variations indéfinies des proprtés des corps naturels soumis à
l' analyse. De prime abord, on croirait que ces variations
correspondent à l' existence d' un nombre également indéfini de
principes immédiats : il n' en est rien cependant. Il suffit de
concevoir que les corps naturels sont constitués par un petit
nombre de principes immédiats, doués individuellement de
propriétés définies, maislangés en proportion indéfinie. Une
semblable conception simplifie singulièrement l' étude des
matières végétales et animales et lui assigne un terme bien
arrêté. De plus, elle permet de contrôler les résultats de l'
analyse par une épreuve monstrative. En effet on doit pouvoir
reproduire les propriétés de la matière primitive par la synthèse
, c' est-à-dire en mélangeant de nouveau les principes immédiats
isolés par l' analyse. Voicomment ont été vérifiés, par
exemple, les résultats analytiques relatifs aux corps gras
naturels, et l' épreuve est devenue surtout décisive, le jour
la synthèse des principes des corps gras eux-mêmes a permis de
les obtenir dans un état de pureté et d' isolement absolu.
p99
Fonctions chimiques des composés organiques. -classification. I
les résultats développés jusqu' ici ont concouru à établir dans
la science tout un ensemble de méthodes et de procédés réguliers,
propres à agir sur une substance organique déterminée, à la
décomposer dans un sens défini et suivant des relations précises
et pvues à l' avance. Cette décomposition a donnaissance à
de nouveaux principes organiques : les uns sont identiques avec
des principes naturels jà connus ; d' autres, créés d' abord
par l' art, ont été retrouvés depuis dans la nature ; mais la
plupart sont absolument étrangers aux organes des êtres vivants,
et l' on n' a guère d' espoir de les y rencontrer jamais.
Cependant leur formation et leur examen sont d' une haute
importance ; sans eux, l' édifice de la science demeurerait
incomplet. En effet, les principes naturels représentent des
termes isolés de séries générales extrêmement étendues, et dont
la connaissance complète serait à peu ps impossible sans l'
étude des principes
p100
artificiels. C' est l' étude de ces corps, tant naturels qu'
artificiels, qui a donné à la chimie organique, pendant le cours
des quarante dernières années, ses méthodes, ses cadres et ses
classifications. Pour montrer qu' il en est ainsi, nous passerons
en revue les principaux groupes de composés organiques. Aux ies
simples et absolues, qui suffisent à grouper les composés
minéraux sous un petit nombre de catégories définies par leurs
fonctions chimiques, telles que les corps simples, les acides,
les oxydes, les bases, les sels, etc., il a fallu joindre des
conceptions plus variées et pls subtiles, pour représenter la
diversité et la multitude presque infinie des composés organiques
. Les uns jouent le le d' acides, d' alcalis, de radicaux
composés, analogues aux acides, aux alcalis, aux radicaux simples
de la chimie mirale. Les autres, au contraire, n' ont point d'
analogue en chimie minérale et remplissent des fonctions
particulières, qui ne se retrouvent dans aucune substance non
carbonée : tels sont les carbures d' hydrogène, les alcools, les
éthers, les aldéhydes, les matières sucrées, les corps gras
neutres. L' étude des dernières fonctions nous conduira à parler
de la classification des composés organiques, et des séries
régulières qui se rattachent aux alcools et aux carbures d'
hydrogène ; nous terminerons en signalant les découvertes les
plus récentes dans l' étude des alcools proprement dits, des
alcools polyatomiques, et des principes sucrés. En exposant les
expériences qui ont conduit à l' invention de ces catégories
diverses de principes organiques, tant naturels qu' artificiels,
nous nous efforcerons de ramener toute théorie à sa notion la
plus abstraite possible et la plus dégagée d' hypothèses, c' est-
à-dire au degré précisla relation, entre les faits connus et
les prévisions qui en ont été tirées, se trouve entièrement
déterminée et débarrassée de toute idée particulière et
accessoire. La science, duite à sa charpente logique, si l' on
peut s' exprimer ainsi, devient singulrement plus nette et plus
générale.
p101
Ii. Acides. I. La nature acide de certains principes organiques
a été reconnue tout d' abord, même avant que la chimie eût été
fondée sur ses bases actuelles. Ces acides appartenaient à deux
catégories : les uns se rencontraient dans la nature, les autres
étaient les produits de l' art. On a dit plus haut quelle avait
été la marche des découvertes dans l' étude de ceux de ces
principes qui sont doués de propriétés acides : comment Scheele,
par exemple, avait reconnu l' existence d' un grand nombre d'
entre eux. à l' origine de la chimie pneumatique, l' acidité de
ces principes fut attribuée à la prédominance de l' oxygène parmi
leurs élements. De là les premières tentatives pour obtenir des
acides nouveaux, en oxydant les matières organiques. Telle est l'
origine de l' acide saccharin / oxalique /, obtenu par Bergmann
en oxydant le sucre, la gomme, l' alcool, par l' acide nitrique,
et formé depuis par Berthollet, en oxydant deme la soie, la
laine, le gluten, le blanc d' oeuf, etc. Bientôt l' acide mucique
fut produit de la même manière avec le sucre de lait, l' acide
subérique avec le liége, l' acide camphorique avec le camphre.
Tous ces résultats s' accordaient, comme on l' a dit plus haut,
avec les opinions de Lavoisier. Ce fut d' après les mêmes ies
que Gay-Lussac et Thenard classèrent les composés organiques
en substances neutres et en substances acides, suivant la
prédominance relative de l' oxygène sur leurs éléments
combustibles, carbone et hydrone. Cependant l' absence de l'
oxygène dans l' acide prussique / cyanhydrique /, établie par
Berthollet, jetait déjà quelque doute sur ces opinions. Mais ce
furent surtout les résultats
p102
obtenus dans l' étude des acides gras qui prouvèrent combien la
généralisation précédente était prématurée. à cet égard, les
travaux par lesquels M Chevreul a établi la fonctionritable
des acides margarique, stéarique, oléique, etc., ritent une
attention particulière. En effet, la richesse de ces corps en
carbone et en hydrogène avait paru d' abord, aux yeux de la
plupart des chimistes, devoir leur faire refuser tout caractère
acide. Les acides gras, quoique très-peu oxygénés, possèdent
cependant toutes les propriétés caractéristiques des acides ; non
-seulement ils rougissent le tournesol dans certaines conditions,
mais ils forment des sels avec tous les oxydes alcalins ou
talliques, ils décomposent les carbonates avec effervescence,
et leurs sels se prêtent aux doubles décompositions salines avec
la facilité ordinaire. Bref, ce sont des acides aussi
complétement caractérisés que tous les autres. Un résultat si
capital étendit singulièrement les idées des chimistes, en
montrant que la fonction chimique d' un composé ne pend pas
essentiellement de la proportion relative de ses éléments. Depuis
cette époque, le nombre des acides organiques, naturels et
artificiels, s' est accru par des recherches successives ; il est
devenu aujourd' hui presque illimité. En me temps, on a
appliqué à ces acides les idées et les découvertes de la chimie
minérale, relatives aux acides polybasiques, aux acides anhydres,
aux chlorures acides, aux acides forts et aux acides faibles, etc
. On a vu ainsi se reproduire dans l' histoire des acides
organiques les traits essentiels de l' histoire des acides
minéraux, modifiés seulement et devenus plus variés et plus
délicats, en raison de la diversité même et des caractères
spéciaux des principes organiques. D' autres découvertes, au
contraire, telles que celle des amides, et jusqu' à un certain
point celle des acides complexes et des acides à fonction mixte,
ont été démontrées d' abord en chimie organique, puis introduites
en chimie mirale. Exposons successivement ces divers travaux.
p103
2. acides polybasiques. -on sait que la découverte des acides
polybasiques est due à M Graham. Jusque-là on admettait que l'
équivalent d' un acide est déterminé par la proportion pondérale
de cet acide, qui se combine à un équivalent d' une base
quelconque. Tous les acides étaient rangés à cet égard dans la
me catégorie. M Graham prouva que l' acide phosphorique peut
former, avec chaque base, trois ries de sels : les uns
renfermant 3 équivalents de base, les autres 2 équivalents de
base et I équivalent d' eau, les derniers I équivalent de base
et 2 équivalents d' eau. Frappé de la régularité de ces
rapports et des liens qu' ils offrent avec la nature des sels
auxquels peuvent donner naissance, par la calcination, les sels
des deux dernières ries, M Graham regarda les phosphates à
3 équivalents de base comme possédant la composition normale, et
l' acide phosphorique comme un acide tribasique, c' est-à-dire
comme équivalent vis-à-vis 3 équivalents d' un acide ordinaire
monobasique. Il établit en même temps l' existence d' un acide
bibasique, l' acide pyrophosphorique, qui se rattachait
intimement à l' acide phosphorique ordinaire. M Liebig étendit
bientôt ces idées aux acides organiques, non sans éprouver une
vive opposition de la part de Berzelius. Il les appliqua
notamment aux acides critique, méconique, cyanurique. Depuis lors
la classification des acides, fondée sur la basicité, est devenue
le fondement de leur étude. Les formules générales qui résument
la théorie des acides polybasiques, peuvent être exprimées,
indépendamment de toute notation atomique ou équivalente et même
de toute formule particulière, de la manière suivante :
p104
soit A la formule d' un acide monobasique, et (..) , celles de
ses dérivés. La formule d' un acide bibasique B équivaut à / (..)
/ et fournit : les dérivés équivalents à / (..) /, c' est-à-dire /
/, et à / (..) /, c' est-à-dire / (..) /. Ce qui comprend le cas
des dérivés / (..) /, semblables à ceux des acides monobasiques et
équivalents à / 2 d /. Seulement il importe de remarquer que
chacun des acides bibasiques n' offre point le tableau complet
des dérivés oxydés, chlorurés, nitrés, sulfuriques, etc., qui
peuvent être déduits albriquement des relations précédentes ;
attendu que le peu de stabilité des composés organiques s' oppose
à la réalisation de tous ces dérivés. En effet, d' un côté les
acides les plus simples renferment trop d' oxygène, et d' un
autre té, à mesure que le carbone augmente dans leur équivalent
, les composés se prêtent à des dédoublements plus faciles et
plus multipliés. Des notations pareilles s' appliquent à la
représentation et à la prévision de tous les dérivés possibles d'
un acide tribasique, envisagé comme équivalent à 3 molécules
monobasiques, intimement unies et inséparables. 3 acides
anhydres. -les acides anhydres sont si communs en chimie
minérale, que l' existence normale des acides hydratés y
constitue presque une exception ; mais,
p105
pendant longtemps, il en a été tout autrement en chimie organique
. Voici quelle est la cause de cette différence. En raison de la
grande altérabilité des acides organiques, il est beaucoup plus
difficile de leur enlever les éléments de l' eau ; à tel point
que la possibilité même de former les acides anhydres
monobasiques a été longtemps contestée. Cette négation était peu
fondée ; car on avait obtenu depuis longtemps, dans des groupes
voisins, les acides succinique anhydre, camphorique anhydre,
tartrique anhydre et même l' acide lactique anhydre. Mais tous
les doutes ont été levés lorsque Gerhardt, l' un des chimistes
qui avaient nié le plus opiniâtrément l' existence des acides
anhydres monobasiques, réussit cependant à en opérer la formation
par des méthodes nouvelles. 4 chlorures acides. -la
découverte des acides anhydres monobasiques est liée intimement
avec celle d' un autre groupe de corps, dont l' histoire a
toujours été corrélative de celle des acides : on veut parler des
chlorures acides. En chimie minérale, on sait qu' il existe toute
une série de chlorures et d' oxychlorures, correspondant à chaque
oxacide anhydre, dont ils dérivent par la substitution, totale ou
partielle, du chlore à l' oxygène, à équivalents égaux ; ces
corps sont aptes à se résoudre, sous l' influence de l' eau ou
des oxydes, en deux composés distincts, l' oxacide d' une part et
l' acide chlorhydrique / ou un chlorure correspondant / d' autre
part. Il suffit de citer les chlorures de bore, de silicium, les
oxychlorides chromique / acide chlorochromique /,
p106
sulfurique / acide chlorosulfurique /, sulfureux, nitrique /
acide chloronitrique /, etc. Divers composés analogues ont é
découverts en chimie organique ; on les a formés d' ailleurs par
desthodes semblables à celles par lesquelles on prépare les
oxychlorides chromique et nitrique. Tel est le chlorure cyanique,
le plus anciennement connu ; tels sont aussi les chlorures
benzoïque, acétique, etc. On obtient ces corps, soit par l'
action du chlore sur les aldéhydes, soit par la réaction du
perchlorure de phosphore sur les sels des oxacides correspondants
. Parmi les chlorures dont il s' agit, les uns renferment à la
fois de l' oxygène et du chlore, comme les oxychlorures minéraux
; d' autres contiennent seulement du chlore, comme les chlorures
de bore et de silicium. 5 acides conjugués. -au commencement
du Xixe siècle, les idées relatives à la combinaison définie n'
étaient point tout à fait arrêtées, et l' on n' établissait guère
de distinction entre le simple mélange d' un acide avec une
matière organique et les acides définis, qui peuvent résulter de
l' association véritable d' un acide plus simple avec un autre
principe. Aussi le langage des travaux de cette époque ferait
facilement illusion, si l' on n' était prévenu de l' existence d'
une semblable confusion. Les premres recherches dans lesquelles
on se soit efforcé de la dissiper paraissent être celles de M
Chevreul sur les amers de Welter au maximum et au minimum,
obtenus par l' action de l' acide nitrique sur l' indigo. M
Chevreul reconnut que ces substances artificielles sont acides,
douées de propriétés détonantes, susceptibles de former de
nouveau de l' acide nitrique dans certaines circonstances ;
cependant, et c' est là le point
p107
essentiel, elles ne cèdent directement l' acide nitrique à aucun
autre corps ; elles agissent sur les bases sans se dédoubler et
s' y combinent par affinité résultante : les éléments de l' acide
nitrique sont donc nécessaires à leur existence. Ce résultat
parut d' abord surprenant ; mais il a été confirmé par les
recherches ultérieures, et sa signification définitive a été
arrêtée, à la suite des expériences de Mitscherlich et de
Laurent sur les dérivés nitrés de la benzine, de la naphtaline
et du phénol. Les discussions relatives à la nature des acides
conjugués ont surtout porté sur les combinaisons que l' acide
sulfurique contracte avec diverses matières organiques, telles
que l' alcool, le ligneux, les corps gras, l' indigo, la
naphtaline, etc. L' acide sulfovinique / acide éthylsulfurique /,
qui résulte de l' union de l' acide sulfurique et de l' alcool, a
été particulièrement étudié. Découvert en I 8 o 2 par Dabit,
qui le regardait comme un simple degré d' oxydation du soufre,
intermédiaire entre les acides sulfurique et sulfureux, mais sans
y reconnaître la présence d' une matière organique, l' acide
sulfovinique fut examiné depuis par Sertürner, Vogel et Gay-
Lussac. L' existence du carbone et de l' hydrogène parmi les
éléments de cet acide ne pouvait échapper à de tels
expérimentateurs. Cependant ils conservèrent en partie l' opinion
de Dabit. Frappés de la solubilité des sulfovinates, analogue à
la solubilité des hyposulfates, que Gay-Lussac venait de
découvrir, les chimistes regardèrent d' abord l' acide
sulfovinique comme forpar l' union de l' acide hyposulfurique
avec une matière organique. Cette opinion, qui ne repose sur
aucune preuve décisive, et que l' assimilation ultérieure de
p108
l' acide sulfovinique aux éthers ordinaires aurait dû renverser
sans retour, s' est conservée longtemps dans un grand nombre de
livres et de moires. Un fait très-remarquable par sa généralité
a été observé dans l' étude des sulfovinates. La capacité de
saturation de l' acide sulfovinique est précisément la moitié de
celle de l' acide sulfurique qu' il renferme, l' autre moitié se
trouvant saturée, par suite de son union avec la matière
organique ; cette dernière remplace une portion de base
équivalente. Le dernier résultat s' accorde d' ailleurs avec les
opinions que Faraday avait émises relativement à la nature de l'
acide sulfonaphtalique : c' est l' origine de toutes les
relations établies depuis entre la basicité des acides conjugués
et celle des corps générateurs. Depuis lors les acides conjugués
se sont multipliés presque à l' infini : les uns, formés par l'
union des oxacides bibasiques avec les alcalis hydrogénés et avec
les alcools, sont analogues aux amides et aux éthers par leurs
propriétés ; ils sont de même aptes à reproduire aisément leurs
générateurs, en fixant les éléments de l' eau. Les autres sont
formés par l' union des oxacides les uns avec les autres, ou avec
les aldéhydes, etc. ; d' autres enfin résultent plus spécialement
de l' union de l' acide sulfurique avec les carbures d' hydrogène
, les alcools, les aldéhydes, les acides, etc. ; en un mot, avec
presque toutes les matières organiques. 6 acides à fonction
complexe. -la notion des acides à fonction complexe est sortie,
comme une déduction presque immédiate, de la découverte des
alcools polyatomiques. Chacun de ces alcools en effet est
susceptible de reproduire et d' accumuler sur lui seul plusieurs
des réactions d' un
p109
alcool ordinaire, et par suite plusieurs fonctions chimiques.
Tels sont les acides-alcools, les acides-éthers, les acides-
aldéhydes et même les acides-alcalis. Ces conséquences de la
théorie générale ont été vérifiées par l' expérience. Dès I 859,
M Wurtz a distingué dans l' acide lactique la basicité de l'
atomicité : expression un peu obscure, que le nom d' acide-alcool
sume, à mon avis, d' une façon plus heureuse. La classification
générale des acides organiques, telle que nous la concevons
aujourd' hui, est la conséquence de ces découvertes et
interprétations synthétiques. 7 acides et composés incomplets
. -on désigne ainsi les corps qui peuvent s' unir par addition
et combinaison intégrale à l' hydrogène, au chlore, aux
hydracides, etc. Leur théorie se rattache aux notionsnérales
de la saturation en chimie organique, notions qui seront
développées ailleurs ; mais il importe de rappeler ici que l'
attention a commencé à se porter sur ce point, surtout à la suite
des travaux de M Kekulé sur les acides incomplets, tels que les
acides fumarique, itaconique, etc. 8 acides faibles et acides
forts. -les alcools ne sont pas seulement susceptibles de s'
unir aux acides pour former des éthers et d' éprouver les
réactions variées qui les distinguent des autres fonctions
chimiques : ils manifestent aussi une certaine aptitude à se
combiner avec les bases, pour former des alcoolates, composés
comparables aux sels, surtout aux sels formés par les acides que
l' on est convenu d' appeler faibles. L' étude thermique de la
formation des alcoolates a
p110
conduit à unefinition plus précise des acides faibles eux-
mes. En effet cette étude montre que les sels formés par l'
union des bases alcalines et des alcools, ou des acides faibles,
éprouvent de la part de l' eau qui les dissout une décomposition
progressive, laquelle s' accroît avec la proportion de l' eau ;
tandis que les sels des mêmes bases unies aux acides forts ne
sont pas décompos par l' eau d' une manière appréciable. On
possède donc aujourd' hui un signe précis pour caractériser les
acides forts et les acides faibles. Les acides organiques à
fonction complexe offrent ceci de particulier, que les
équivalents de base successivement combinés avec un même acide le
sont à des titres différents ; l' un par exemple répond au
caractère acide proprement dit, l' autre au caractère d' alcool,
ou d' aldéhyde : or ces divers équivalents peuvent être
distingués par les épreuves thermiques. C' est ainsi que l' on
parvient à de nouvelles notions, empruntées à la chimie organique
, et qui peuvent être étendues aux acides minéraux. Iii amides
et dérivés azotés. I les principes naturels azotés, d' origine
organique, ne perdent point immédiatement leur azote, lorsqu' on
les soumet à l' action des alcalis ; cependant, sous l' influence
d' un contact prolongé et surtout d' une température élevée, tout
l' azote finit en général par se dégager sous forme d' ammoniaque
. Ces phénomènes établissent entre les sels ammoniacaux et les
principes organiques azotés certains rapprochements, et en même
temps certaines différences essentielles. En effet,
p111
lorsque ces principes perdent leur azote sous forme d' ammoniaque
, ils semblent se comporter comme les sels ammoniacaux ; mais ils
s' en distinguent parce qu' ils ne dégagent point cette
ammoniaque imdiatement. Bref, les propriétés de l' ammoniaque
qui entre dans la constitution des principes azotés sont
dissimulées ; de la même manière que l' on verra bientôt les
propriétés des acides dissimulées dans les éthers. Ces phénomènes
avaient été observés dès le siècle dernier ; mais ils sont
demeurés pendant longtemps obscurs et inexpliqués, parce qu'
aucun composé minéral ne présentait de propriétés analogues.
Cependant, l' urée et les composés du cyanogène fournirent les
premiers exemples de principes artificiels appartenant à la même
catégorie. Mais le lien précis de tous ces phénomènes et leur
interprétation véritable n' ont point été établis avant les
expériences de M Dumas sur l' oxamide. Voici les principaux
sultats de ces expériences fondamentales. L' oxamide est une
matière solide et volatile, que l' on obtient en distillant l'
oxalate d' ammoniaque ; sa composition est telle, qu' elle peut
se représenter par l' oxalate d' ammoniaque privé des éléments de
l' eau. L' oxamide, traité à froid par les bases, ne régére ni
acide oxalique ni ammoniaque : il ne précipite point les sels de
chaux : ce n' est donc ni un sel ammoniacal, ni un oxalate. Loin
de là : l' oxamide se comporte en apparence comme une matière
privée d' affinités caractéristiques. Cependant, si l' on
prolonge l' action des bases, surtout à la température de l'
ébullition, l' oxamide finit par fixer de nouveau les éments de
l' eau : l' acide oxaliqueré s' unit à la base, et l'
ammoniaque se dégage. Ainsi reparaissent l' acide et l' alcali,
jusque-là demeurés, pour ainsi dire, latents dans le composé. L'
oxamide et le benzamide, autre corps formé bientôt
p112
après et par une méthode également générale, sont devenus les
types d' une classe nombreuse de composés organiques, qui
comprennent à la fois des corps naturels et des corps artificiels
. Tout acide uni à l' ammoniaque peut, en perdant ensuite les
éléments de l' eau, donner naissance à un ou à plusieurs de ces
amides. La découverte de l' acide oxamique, produit par la
décomposition ignée du bioxalate d' ammoniaque, et celle des
acides amidés qui résultent de l' action de l' ammoniaque sur les
acides anhydres bibasiques, ont généralisé les idées relatives
aux amides. Enfin la couverte des nitriles, c' est-à-dire des
sels ammoniacaux complétement privés d' oxygène par voie de
déshydratation, a montles limites de cet ordre de phénomènes,
en même temps qu' elle établissait des liens inattendus entre les
nitriles et les éthers cyanhydriques. 2 alcalamides. non-
seulement tout sel ammoniacal peut être changé en amide ; mais il
en est de même des sels formés par un alcali hydrogéné quelconque
. La découverte des anilides, composés résultant de l' union de
l' aniline et des oxacides avec élimination d' eau, a été l'
origine de cette géralisation nouvelle des idées relatives aux
amides. On a même obtenu les nitriles formiques des alcalis
hydrogénés, lesquels constituent des corps isomères des anciens
éthers cyanhydriques.
p113
3 amides complexes. la théorie même de ces alcalis
hydrogénés se rattache à celle des amides : en effet on a
également préparé des amides véritables, en combinant l'
ammoniaque avec les alcools et les aldéhydes, toujours avec
élimination des éments de l' eau : les corps ainsi formés
jouissent souvent de propriétés alcalines très-prononcées.
Remarquant enfin que l' on peut unir à leur tour aux acides les
amides alcalins et produire des sels, puis, en déshydratant ceux-
ci, obtenir des amides d' une nouvelle espèce ; dérivés des
amides primitifs, ainsi qu' il vient d' être dit, au même titre
que ceux-ci dérivent de l' ammoniaque, on a été conduit à
envisager l' existence de certaines classes d' amides produits
par l' union simultanée d' un seul équivalent d' ammoniaque avec
plusieurs équivalents successifs de composés oxygés, acides,
alcools, etc. Tels sont les amides complexes : Gerhardt a expo
tout un ensemble de procédés généraux destinés à leur formation.
M H Schiff s' est attacsurtout dans ces derniers temps aux
amides qui dérivent des aldéhydes. C' est ainsi que la catégorie
des amides a toujours été se généralisant davantage ; il est
probable aujourd' hui qu' elle embrasse l' ensemble des composés
naturels azotés : opinion qui peut être regardée comme démontrée
depuis les derniers travaux de M Schützenberger sur l' albumine
. Un autre fait augmente encore l' intérêt qui s' attache à leur
étude : les amides ont été découverts d' abord en chimie
organique ; mais des composés semblables peuvent aujourd' hui
être formés avec les acides miraux, toujours en vertu desmes
thodes générales : c' est un exemple remarquable de l'
extension des idées de la chimie organique à la chimie minérale.
p114
L' ammoniaque n' est pas le seul compo minéral de l' azote qui
engendre des dérivés importants en s' unissant aux principes
organiques : tous les autres composés azotés et scialement les
acides azoteux et azotique donnent aussi naissance à des
combinaisons remarquables. Ces corps appartiennent à trois
catégories principales, savoir les éthers, les dérivés nitrés et
les rivés azoïques. 4 éthers. on obtient des éthers
ritables, par l' association d' un alcool et d' un acide
oxygéné de l' azote : soit, par exemple, les éthers azoteux,
connus dès le siècle dernier, et les éthers azotiques ; ou bien
encore la poudre coton ou pyroxyle, la mannite nitrique, la
nitroglycérine. Ces derniers corps découverts vers I 846, ont
été les objets d' une multitude de recherches à cette époque ;
mais la vraie constitution n' en a été éclaircie qu' à la suite
des découvertes relatives aux alcools polyatomiques. En effet
tous ces corps sont des éthers ; l' eau et les alcalis les
décomposent et reproduisent l' acide et l' alcool générateurs.
Enfin, ces éthers azotiques, de me que les autres éthers, sont
engendrés avec un faible dégagement de chaleur ; de telle sorte
que l' énergie de leurs composants, conservée presque
intégralement, se manifeste au plus haut degré, lorsque l' on
détermine la combustion interne du composé en provoquant la
réaction de l' oxygène de l' acide sur l' hydrone et le carbone
de la base. De là résultent les propriétés explosives si
remarquables de cette catégorie de composés. 5 rivés nitrés
. la réaction des acides azotique et azoteux sur les carbures
d' hydrogène, opérée dans d' autres
p115
conditions, donne lieu auxrivés nitrés et nitrosés .
Ces composés, souvent isomériques avec les éthers précédents s'
en distinguent surtout par le dégagement de chaleur, 6 à 8 fois
aussi considérable, qui s' accomplit lors de leur formation. En
raison de cette circonstance, les corps nitrés sont beaucoup plus
stables que les éthers azotiques. En effet l' eau et les alcalis,
mis en présence de ces corps, ne fournissent plus l' énergie
suffisante pour les dédoublergulièrement dans leurs
générateurs. Cependant l' aptitude explosive des corps nitrés est
encore considérable, bien que leur tendance à éprouver une
combustion interne, ainsi que la violence de l' explosion qui en
sulte, sont moindres que pour les éthers isomères. 6
rivés azoïques. un troisième groupe, celui des déris
azoïques,sulte de l' association des éléments de l' ammoniaque
avec les éléments azotiques ou azoteux dans un même composé : ce
sont des corps comparables à l' azotite d' ammoniaque, et qui se
décomposent deme très-aisément en dégageant de l' azote,
souvent même avec explosion ; par suite de la réaction interne du
sidu azoteux sur le résidu ammoniacal qui concourent à les
former. Ce groupe de composés azotés a été l' objet d' études
nombreuses et approfondies de la part de M Griess. Iv alcalis.
La découverte des alcalis végétaux, faite il y a soixante ans,
frappa au plus haut degré l' attention nérale. On connaissait
p116
depuis longtemps les propriétés éminemment actives ou vénéneuses
de l' opium, du quinquina, des sucs de l' ellébore, de l' aconit,
du tabac, de la ciguë, de la fève de saint-Ignace et d' un grand
nombre d' autres substances vétales, employées pour la plupart
en médecine. Mais la nature des principes immédiats auxquels sont
dues de telles propriétés demeurait inconnue ; lorsque, en I 8 i
6, Sertürnercouvrit que l' on pouvait extraire de l' opium
une substance cristallisée, la morphine, douée de propriétés
semblables à celles de l' ammoniaque et des alcalis minéraux,
apte à bleuir le tournesol et à former avec les acides des sels
parfaitement définis. C' est le premier alcali organique connu ;
il est formé de quatre éléments, le carbone, l' hydrone, l'
oxygène et l' azote. L' action physiologique de l' opium réside
en grande partie dans la morphine qu' il renferme. Cette
découverte, d' abord contestée, puis démontrée sans réserve
possible, excita vivement l' étonnement des chimistes et dirigea
leur attention sur la recherche des principes analogues contenus
dans un grand nombre de sucsgétaux. Bientôt les principes
actifs et vénéneux des strychnées, du veratrum album et des
quinquinas furent isolés par Mm Pelletier et Caventou : ces
principes étaient également des alcalis puissants, aptes à s'
unir avec les acides ; tous étaient azotés et de nature
quaternaire. La voie ouverte, les recherches s' y multiplièrent.
Après la morphine, la strychnine, la brucine, la vératrine, la
quinine, la cinchonine, vinrent l' aconitine, principe actif de
l' aconit ; l' atropine et la solanine, principes actifs des
solanées ; la caféine, principe actif du thé et du café ; la
nicotine, principe actif du tabac ; la conine, principe actif de
la ciguë : ces deux dernières bases sont exemptes d' oxygène. On
découvrit encore un nombre considérable d' alcalis analogues,
tous formés de carbone, d' hydrone, d' azote, et presque
toujours d' oxygène. Tous ces alcalis saturent les acides et
forment des sels définis, généralement
p117
cristallisables, dont la composition est semblable à celle des
sels ammoniacaux. Les points essentiels qui viennent d' être
signalés ont été établis par l' analyse de ces alcalis et par la
détermination de leurs équivalents : double objet de recherches,
qui fut poursuivi d' abord par Mm Dumas et Pelletier, puis par
Liebig, par M Regnault, et depuis par un grand nombre des
chimistes les plus habiles. L' étude analytique des actions que
ces alcalis éprouvent de la part des agents chimiques a également
été l' objet de nombreuses exriences, parmi lesquelles on doit
citer surtout celles de Mhler sur la narcotine, les travaux
de M Anderson, enfin lessultats plus récents relatifs au
dédoublement du pipérin, de l' atropine, de la cocaïne, etc. Mais
cette étude présente des difficultés extrêmes et son peu d'
avancement jette encore quelque incertitude sur les formules de
la plupart des bases végétales ; c' est le principal obstacle aux
recherches synthétiques dont elles pourraient devenir l' objet.
Cependant on est déjà arrisous ce rapport à certaines notions
générales d' un grand intérêt, relativement à la formation des
bases organiques. En effet, après avoir reconnu l' existence des
alcalis organiques naturels, on fut conduit à chercher à former
artificiellement des composés analogues. Unverdorben découvrit
le premier l' existence de substances alcalines artificielles :
ce sont des bases volatiles, douées de propriétés spéciales ;
elles sont contenues dans l' huile de Dippel, produit pyrogéné
que l' on obtient en distillant les matières animales. Runge
trouva bientôt d' autres
p118
alcalis organiques dans l' huile du goudron de houille ; ces
alcalis sont encore formés artificiellement. Mais les alcalis de
l' huile de Dippel et ceux du goudron de houille furent décrits
d' abord sans être analysés ; leur origine est d' ailleurs
obscure, parce qu' elle est tirée d' un mélange complexe de
principes mal déterminés. Aussi leurcouverte n' éveilla point
d' abord l' attention. Néanmoins, en I 84 o, Fritzsche réussit
à produire dans des conditions plus précises l' un de ces alcalis
, l' aniline, c' est-à-dire un corps identique avec l' une des
bases d' Unverdorben et de Runge. Il obtint cet alcali en
distillant avec de la potasse une substance définie, l' indigo ;
il établit la composition de l' aniline ettermina avec
exactitude la filiation qui la rattache au principe dont elle
dérive. Déjà M Wohler était parvenu à former synthétiquement l'
urée par la combinaison de l' ammoniaque avec l' acide cyanique :
l' urée est une substance apte à s' unir aux acides comme les
alcalis ; elle mérite d' autant plus d' intérêt, qu' elle se
rencontre à l' état normal dans l' urine des animaux. Cette
synthèse importante avait été suivie par la production de
plusieurs alcalis artificiels, formés également au moyen des
composés qui dérivent du cyanogène. Les recherches de divers
chimistes sur l' essence de moutarde, celles de Laurent, celles
de Mm Fownes, Liebig et Wohler, relatives à l' action de l'
ammoniaque sur quelques aldéhydes, multiplièrent les alcalis
artificiels, et tendirent à les rattacher de plus en plus à l'
ammoniaque, comme à leur principe nérateur.
p119
Toutefois aucune thode générale ne présidait à ces formations ;
on les avait réalisées par des procédés ingénieux et délicats,
mais spéciaux à chaque cas individuel. Tout ce que l' on pouvait
dire, c' est que les alcalis organiques renferment tous de l'
azote, et que le concours de l' ammoniaque, libre ou naissante,
paraît nécessaire à leur génération. La première méthode générale
et féconde propre à former des alcalis, suivant une loi régulière
, au moyen de principes exempts d' azote et surtout au moyen des
carbures d' hydrogène, a été découverte par M Zinin, en I 842.
Elle repose sur les faits suivants : un grand nombre de
substances organiques, la plupart des carbures d' hydrogène en
particulier, peuvent échanger une portion de leur hydrogène
contre les éléments de l' acide hyponitrique. Par là se forment
des composés nitrés. Sous l' influence de l' hydrogène naissant,
les éléments nitriques contenus dans ces composés se transforment
dans les éléments de l' ammoniaque, conformément à une réaction
bien connue en chimie minérale. Le composé nouveau qui résulte de
cette métamorphose est doué en général de propriétés alcalines.
Ainsi, par exemple, la benzine a pu être changée successivement
en benzine nitrée, puis en aniline ; la naphtaline est devenue de
la naphtaline nitrée, puis de la naphtalidine, etc. Un tel
procégénéral de formation montre clairement quels liens
existent entre l' ammoniaque et les alcalis artificiels qui
dérivent des carbures d' hydrone ou des substances analogues.
Elle permet de préparer une multitude d' alcalis artificiels ;
mais aucun de ces corps n' a encore été trouvé identique avec un
alcali naturel. Les recherches de M Hofmann sur la possibili
de substituer le chlore, le brome, l' iode, les éléments
hyponitriques à l' hydrogène, dans l' aniline, sans lui enlever
ses propriétés alcalines ; celles dume savant sur la formation
, au moyen
p120
de l' aniline, de divers alcalis dérivés du cyanogène et
semblables à ceux auxquels l' ammoniaque peut donner naissance,
ont encore étendu le champ de ces formations. Mais la première
indication d' une méthode nouvelle propre à rattacher la
production des alcalis, non plus aux carbures, mais aux alcools,
est due à M P Thenard. En cherchant à produire des composés
phosphorés analogues au cacodyle, substance arniée dont il sera
question plus loin, ce savantcouvrit la formation de divers
alcalis particuliers nouveaux. Ces alcalis se distinguaient de
tous ceux qui avaient été obtenus jusque-là, par deux propriétés
dignes d' un haut intérêt. D' abord ils ne renferment pas d'
azote, mais du phosphore. Le trait suivant est plus remarquable
encore : ces alcalis artificiels sont engendrés par un alcool, à
savoir l' alcoolthylique ; on les obtient d' ailleurs en vertu
d' un procédé gulier et au moyen de son éther chlorhydrique. L'
un d' eux répond à la combinaison de I équivalent d' hydrogène
phosphoré avec I équivalent d' alcool méthylique ; un autre, à
la combinaison de I équivalent dume hydrogène phosphoré avec
3 équivalents du même alcool méthylique. Ces faits inattendus,
la méthode simple et pcise qui présidait à la formation des
alcalis dont il s' agit, enfin la similitude de formule et de
condensation qui existe entre l' hydrogène phosphoré et l'
ammoniaque, faisaient pressentir la production de substances
analogues avec le dernier corps. Deux années plus tard, M Würtz
réalisa cette importante découverte, en distillant avec de la
potasse l' éther cyanique, c' est-à-dire un corps qui renferme à
la fois les éléments prochains de l' ammoniaque et ceux de l'
alcool. Il reconnut la formation d' un alcali nouveau, très-
intéressant en raison du caractère direct des relations qu' il
présente à l' égard des alcools. En orant de même avec les
autres alcools,
p121
Mrtz obtint la méthylammine et l' amylammine. à chaque
alcool répond un alcali particulier, facile à former suivant la
me réaction générale. Ces corps sont les amides des alcools ;
ils sont engendrés d' après la même loi que les éthers composés,
dont ils se distinguent par l' union plus intime de leurs
éléments. Les bases nouvelles présentent avec l' ammoniaque les
analogies les plus frappantes, non-seulement au point de vue de
leurs formules, mais aussi de leurs propriétés physiques et
chimiques. Ces alcalis ont d' autant plus d' importance, qu' ils
n' ont point tar à être retrouvés dans beaucoup de réactions,
leur existence avait été d' abord méconnue. Les liens féconds
que ces expériences établissent entre les alcools et les alcalis
organiques n' ont point tardé à recevoir une généralisation tout
à fait inattendue et d' une importance fondamentale, tant par la
multitude des composés auxquels elle donne naissance, que par les
indications qu' elle fournit relativement à la constitution des
alcalis organiques naturels. M Hofmann, reprenant les éthers à
hydracides, démis en oeuvre par M P Thenard, fit réagir l'
ammoniaque sur ces éthers et obtint tout d' abord les alcalis
formés par Mrtz. Ce qui distingue cette réaction de la
précédente, et ce qui lui a donné une fécondité imprévue, c' est
qu' elle se produit par le concours de l' ammoniaque libre ;
circonstance qui permet de tenter la mêmeaction, non plus
seulement avec l' ammoniaque, mais avec tout autre corps analogue
, doué de propriétés alcalines. C' est en effet ce que M
Hofmann a réalisé. Reprenant l' éthylammine, c' est-à-dire l'
alcali obtenu par l' union de I équivalent d' alcool et de I
équivalent d' ammoniaque, il l' a fait agir à son tour sur l'
éther bromhydrique, et il a formé, suivant la même loi, un alcali
nouveau, la diéthylammine, dérivée de 2 équivalents d' alcool.
Au lieu de faire agir l' éthylammine,
p122
on peut employer vis-à-vis de l' éther bromhydrique toute autre
base analogue, telle que la méthylammine ou l' aniline /
phénolammine / ; on forme ainsi des alcalis nouveaux, qui
sultent de l' union de l' ammoniaque, non plus avec 2
équivalents d' unme alcool, mais avec deux alcools différents.
Ce n' est pas tout : répétant encore l' action de la
diéthylammine sur l' éther bromhydrique, on obtient la
triéthylammine, c' est-à-dire un alcali dérivé de 3 équivalents
d' alcool. Au lieu de triéthylammine, on peut préparer des
alcalis résultant de l' union de l' ammoniaque avec deux et trois
alcools distincts / méthyléthylammine /, etc. En voyant les
éthers bromhydrique et iodhydrique s' unir ainsi à un alcali,
quel qu' il soit, avec formation d' un alcali nouveau, dérivé du
premier par la fixation des éléments alcooliques, on pouvait se
demander si cette faculté demeure la même, quel que soit déjà le
degré de complication de l' alcali employé dans la réaction ; ou
bien si le pnomène présente une limite, au delà de laquelle la
réaction devient impossible ou change de nature. C' est le
dernier pnone qui s' est réalisé, toujours d' après les
expériences de M Hofmann. En effet, si l' on traite l' éther
iodhydrique par un alcali tertiaire, par la triéthylammine par
exemple, la combinaison s' ore encore : en apparence, suivant
la même formule que les précédentes. Mais lorsque l' on essaye de
décomposer par la potasse le composé obtenu, dans l' intention d'
en extraire un alcali pareil à la triéthylammine, on ne ussit
plus. à la vérité, l' oxyde d' argent s' est trouvé plus efficace
et il a donné naissance à un composé alcalin ; mais le nouveau
corps n' est point un alcali volatil, exempt d' oxygène ; ses
caractères s' écartent complétement de ceux des alcalis
successifs qui ont précésa formation. En effet, le dernier
alcali est une base oxygénée, fixe, extrêmement soluble dans l'
eau, déliquescente, attirant l' acide carbonique de l' air, en un
mot, comparable à la potasse par son énergie chimique, par la
manière dont elle se comporte vis-à-vis
p123
des acides, et par la plupart de ses propriétés. Cette base
sulte de l' union de I équivalent d' ammoniaque et de 4
équivalents d' alcool. Elle marque la limite du genre de
combinaison qui donne naissance aux alcalis composés. Après avoir
découvert cet ensemble de réactions et de phénomènes généraux, M
Hofmann l' a formulé à l' aide d' un système symbolique très-
ingénieux. Rapprochant les trois premiers alcalis de l'
ammoniaque, et le quatrième de l' oxyde d' ammonium, il a mont
comment la proportion d' hydrogène contenue dans l' ammoniaque et
dans l' oxyde d' ammonium, réglait le nombre d' équivalents d'
alcools qui concourent à former les quatre classes d' alcalis
artificiels ; c' est cette proportionme qui détermine les
limites nécessaires de la combinaison. La découverte des alcools
polyatomiques a généralisé la théorie, et conduit aussitôt M
Hofmann à former des polyammines, et Mrtz, à obtenir les
bases dérivées de l' oxyde d' éthylène diversement condensé. La
synthèse de deux alcalis complexe d' origine animale, la
sarcosine et la neurine ont été le fruit de ces nouvelles
recherches. Signalons encore les études relatives aux bases et
autres composés, qui dérivent de la réaction des aldéhydes sur
les alcalis, les recherches sur les isomères de la toluidine, et
surtout la série de travaux de M Hofmann sur la rosaniline et
les autres matières colorantes artificielles, de nature alcaline,
qui dérivent par certaines réactions complexes des carbures
benzéniques. Le me savant a encore mont
p124
que le méthylaniline et les alcalis analogues se changent sous l'
influence de la chaleur en toluidine, alcali d' une constitution
plus simple, par suite d' une sorte de transposition moléculaire
; phénomènes qui permettent à la substitution méthylée de
dépasser les limites assignées par la théorie, en même temps qu'
ils changent le caractère de cette substitution. Malgré leur
étendue, lessultats qui viennent d' être exposés ne
comprennent jusqu' ici aucun alcali végétal ; mais il est
probable qu' ils pourront être portés loin. Déjà ils ont conduit
à un premier essai de classification des alcalis naturels,
suivant quatre groupes distincts : la nature propre de ces
alcalis peut être assignée par l' expérience, en cherchant la
limite d' aptitude à s' unir à l' éther iodhydrique que possède
chacun d' eux. Ces mêmes découvertes ont également donné lieu à
la formation de substances d' un tout autre ordre et dont l'
étude nous reporte à notre point depart. En effet, Mm
Cahours et Hofmann ont prépaavec le phosphore des alcalis
semblables à ceux de M P Thenard, engendrés suivant les mêmes
thodes générales et conformément aux mêmes lois de composition
que les alcalis azotés. L' arsenic, l' antimoine, ont donné
naissance à des alcalis analogues. Tous ces corps participent à
la fois de la nature des alcalis azotés et de celle des radicaux
talliques composés, dont il va maintenant être question.
p125
V. Radicaux composés. L' existence des radicaux composés, c' est
-à-dire de substances composées, susceptibles de se combiner avec
l' oxygène, le soufre ou les métaux, à la manière des corps
simples eux-mêmes, a été soupçonnée dès les buts de la chimie
moderne. L' oxygène était alors regardé comme l' élément
comburant par excellence ; les autres corps simples étaient tous
assimilés à des radicaux combustibles ; tous les acides
sultaient de l' union de ces radicaux avec l' oxygène. En
conséquence de ces idées, les propriétés acides de certains
principes végétaux ternaires, formés de carbone, d' hydrogène et
d' oxygène, furent expliqués par l' union de l' oxyne, non plus
avec un groupe simple, mais avec un groupement hydrocarbo
binaire oume ternaire : ce groupement composé jouait un rôle
de radical oxydable et acidifiable. Cette manière de voir a é
adoptée et précisée par Berzelius, qui a essayé de l' identifier
avec la théorie électrochimique. Depuis elle a été soutenue
également par Liebig et par beaucoup d' autres chimistes.
Liebig a même défini la chimie organique : " la chimie des
radicaux composés. " on voit quel intérêt historique présente l'
étude des radicaux composés. Quel que puisse être leur rôle
définitif dans l' avenir, on ne saurait contester l' influence
que les travaux suscités à leur occasion ont exercée sur les
développements de la chimie organique.
p126
L' histoire de la science conduit à distinguer deux genres de
radicaux, essentiellement différents par leurs propriétés et par
le rôle qu' ils jouent dans la formation des séries générales.
Les uns, tels que le cyanone et le cacodyle, sont des radicaux
réels, isolables, doués de propriétés semblables à celles des
corps simples. Ils donnent naissance à des composés binaires et
ternaires, comparables à ceux de la chimie minérale : aussi leurs
caractères n' ont-ils jamais été contestés. Les autres radicaux
au contraire, tels que l' éthyle, l' amide, l' atyle, le
benzoïle, etc., ne possèdent point les propriétés des corps
simples véritables ; ils n' engendrent ni oxydes basiques, ni
sels proprement dits. Aussi leur importance dans la science n' a-
t-elle jamais cesd' être révoquée en doute ; la manière même
de les comprendre a varié à plusieurs reprises. Commeons par
les radicaux composés que tout le monde admet. Le cyanogène a
fourni le premier et jusqu' ici le seul exemple avéré d' un
radical compo, comparable au chlore et aux talloïdes. La
connaissance de la nature réelle de ce corps, celle de ses
propriétés, de son aptitude à s' unir aux métaux pour former des
cyanures, semblables aux chlorures ; avec l' hydrogène, pour
former de l' acide cyanhydrique, semblable à l' acide
chlorhydrique ; avec le chlore, pour former du chlorure de
cyanogène, etc. ; bref la théorie du cyanogène, envisagé comme
radical compo, est due à Gay-Lussac. L' acide cyanique a é
découvert par M Wohler, et l' étude des métamorphoses des
composés cyaniques a donlieu à une vaste famille de rivés,
dont la théorie se rattache en partie à celle du cyanogène, en
partie à celle des amides.
p127
S' il n' existe qu' un seul exemple avéré d' un radical composé
analogue aux métalloïdes, au contraire, le nombre des radicaux
composés comparables aux métaux s' est extrêmement multiplié
depuis quelques années. Tous ces corps sont formés par l'
association des éléments hydrocarbonés avec un métal proprement
dit, lequel communique à l' ensemble la plupart de ses propriétés
fondamentales. Le premier radical complexe de cette nature a été
découvert par M Bunsen. C' est le cacodyle. Voici dans quelles
conditions il a été formé pour la première fois et quelles en
sont les propriétés essentielles. En distillant un mélange d'
acétate de potasse et d' acide arsénieux, on avait depuis
longtemps obtenu un liquide volatil, spontanément inflammable au
contact de l' air, et renfermant de l' arsenic parmi ses éléments
. C' est avec ce liquide que, par une série de traitements
convenables, M Bunsen est parvenu à former le cacodyle lui-même
. Ce radical, composé de carbone, d' hydrogène et d' arsenic, est
un liquide transparent, plus pesant que l' eau, incolore,
visqueux, très-vénéneux. En s' unissant directement à l' oxygène,
au soufre, au chlore, il donne naissance à deux oxydes, à un
acide, à plusieurs sulfures, à plusieurs chlorures, etc. Son
protoxyde se combine aux acides et forme des sels ; son chlorure
de imdiatement au nitrate d' argent le chlore qu' il renferme
. Ceme chlorure est décompopar le zinc et par l' étain,
avec régénération de cacodyle. Tous ces faits établissent l'
existence d' un radical composé, analogue aux métaux, susceptible
d' être isolé par les mêmes méthodes, apte à s' unir aux corps
simples de la me manière. Le cacodyle est demeu pendant dix
ans seul de son espèce, dans l' étude des substances organiques.
Mais, depuis on a obtenu un grand nombre de radicaux métalliques
analogues. Ces découvertes résultent des liens que le cacodyle
p128
présente vis-à-vis des alcools et qui avaient été indiqués dès l'
origine par M Bunsen. En effet, le cacodyle se rattache par sa
composition auxrivés de l' alcool méthylique, circonstance qui
a conduit depuis à un mode de préparation beaucoup plus général.
Il a suffi de prendre pour point de départ un éther proprement
dit, tel que l' éther chlorhydrique ou l' éther iodhydrique, et
de faire agir sur cet éther un radical simple combustible. M P
Thenard découvrit cette méthode / I 847 /, en étudiant les
alcalis phosphorés ; il en fit la première application, en
préparant un composé semblable au cacodyle, mais dans lequel le
phosphore jouait le mêmele que l' arsenic remplit dans le
cacodyle lui-me. La même méthode fut bientôt appliquée à la
préparation de radicaux composés, qui renferment des corps
combustibles d' une tout autre nature, c' est-à-dire des métaux
ritables. Le zinc, l' antimoine, l' arsenic, l' étain, le plomb
, le mercure, le cadmium, le bismuth, le potassium, etc., enfin
le tellure, le sélénium et même le soufre ont été ainsi combinés
avec des éléments organiques et ont concouru à la formation d'
une multitude de radicaux métalliques composés, analogues aux
taux simples, et dont le nombre augmente chaque jour. Un groupe
tout spécial est constitué par les corps qui dérivent de l'
action directe des métaux alcalins sur certains carbures d'
hydrogène, tels que l' acétylène, et par les composés qui
sultent de l' action de ces mêmes carbures sur les dissolutions
talliques.
p129
La génération des radicaux et les limites qui président à leur
formation, limites comparables à la saturation destaux
générateurs par les éléments simples, ont été précisées par les
travaux de Mm Frankland, Baeyer et surtout par ceux de M
Cahours. Citons encore les travaux patients et systématiques de
M Friedel sur les rivés organiques du silicium, comparés à
ceux du carbone ; ainsi que l' intervention du zincéthyle,
employé par un grand nombre de chimistes dans la formation
synthétique d' une multitude de composés, tels que les carbures
d' hydrogène, les acétones, les alcools tertiaires, les acides
organiques, etc. à té des radicaux véritables, dont nous venons
de retracer l' histoire, les chimistes ont poursuivi l' étude des
radicaux fictifs, tels que l' éthyle, l' amide, le méthyle, etc.
La conception des radicaux de ce genre n' était à l' origine qu'
une simple variante de la théorie des éthers et de celle des
amides : elle proposait d' assimiler l' alcool à un hydrate
basique, l' éther hydrique à un oxyde, les éthers composés à des
sels ; elle comparait les amides aux acides anhydres. De là des
notations, souvent fort élégantes, et de nombreux travaux
suscités par la discussion de ces théories. Mais en réalité les
propriétés des amides ne présentent rien de commun avec celles
des acides anhydres, et nous verrons plus loin que l' alcool et
les éthers sont des substances qui n' ont point d' analogues
ritables en chimie minérale. à l' origine on ne connaissait
aucun corps qui répondît aux formules des radicaux précédents :
on était dès lors autorisé jusqu' à un certain point à expliquer
les divergences qui existaient entre les faits et la théorie par
le défaut de stabilité de ces prétendus radicaux. Mais, depuis,
on a réussi à
p130
obtenir par des méthodes fort ingénieuses plusieurs d' entre eux,
tels que l' éthyle, le méthyle, etc. Or il s' est trouvé que ces
composés ne jouissent point des propriétés des radicaux qu' ils
sont censés représenter. Entre eux et l' ensemble des composés
que leurs formules sembleraient y rattacher, il n' existe d'
autres liens que ces formules mêmes ; mais les ptendus radicaux
ne sont point les composés à l' aide desquels on peut former
thodiquement tous les autres. C' est pourquoi la plupart des
chimistes, qui sont restés fidèles à la théorie des radicaux,
regardent aujourd' hui les corps dont il s' agit et qui figurent
dans les formules, comme essentiellement distincts des corps
réels qui possèdent la même composition. Leur opinion à cet égard
est exprimée avec une grande netteté par ces paroles de Gerhardt
: " je prends, dit-il, l' expression de radical dans le sens
de rapport et non dans celui de corps isolable ou isolé. " on
voit que les radicaux employés dans les formules des éthers et
des amides ne sont plus regardés maintenant que comme des êtres
purement symboliques et imaginaires. Du reste, ces opinions ont
été étendues par leurs auteurs à la chimie minérale elle-même.
Leur application à cette science mérite d' être rappelée ici,
parce qu' elle est des plus caractéristiques. Aux radicaux
simples ordinaires, tels que le soufre, l' azote, le phosphore,
etc., que l' on a coutume d' envisager en chimie minérale, on a
voulu substituer, par une conséquence inévitable des mêmes idées,
des radicaux composés, correspondants à ceux de la chimie
organique, tels que le sulfuryle, le nitryle, l' azotyle, le
phosphoryle, etc. Ainsi, par un retour étrange, après être partis
de l' idée des corps simples minéraux pour l' étendre à la chimie
organique en la généralisant, les partisans de la théorie des
radicaux
p131
en étaient venus à supprimer, même en chimie minérale, les corps
simples véritables dans l' interprétation des phénones. Ce n'
est pas le premier exemple, dans l' histoire des sciences, d' un
système qui, se substituant à la série réelle des pnomènes
reconnus par l' expérience, avec la prétention de les simplifier,
mais, poussé par une suite fatale de déductions logiques, arrive
enfin à détruire ses propres fondements. Cette contradiction a
amené dans les opinions des chimistes une évolution nouvelle, qui
fait remonter toute l' interprétation jusqu' aux propriétés
supposées des éléments eux-mêmes, envisagés comme mono-atomiques,
bi, tri ou tétratomiques. On y reviendra plus loin. Vi alcools
et éthers. Les substances artificielles, dont on a exposé jusqu'
ici la formation, représentent les mêmes fonctions générales que
les composés minéraux, c' est-à-dire celles de radicaux, d'
acides, d' alcalis. L' analogie entre les substances organiques
de cet ordre et les substances mirales correspondantes va plus
loin encore : elle se retrouve jusque dans le mode d' après
lequel lesactions s' accomplissent. En effet, tous les
composés dont nous venons de parler manifestent immédiatement,
soit par affinité simple, soit par affinité résultante, les
propriétés caractéristiques des éléments minéraux qu' ils
renferment. C' est par la fixation de l' oxygène sur des éléments
hydrocarbonés que l' on constitue presque tous les acides
organiques ; les alcalis participent des propriétés de l'
ammoniaque qui sert à les produire ; c' est également aux métaux
générateurs que les radicauxtalliques composés doivent leurs
caractères les plus frappants. En définitive,
p132
quelle que soit la variété de tous ces composés et la mobilité
relative de leurs éléments, ils ne font que reproduire, dans des
conditions plus délicates, les aptitudes fondamentales des
éléments minéraux qui concourent à les former. Il n' en est pas
de même des substances dont on va maintenant retracer l' histoire
, c' est-à-dire des alcools, des éthers, des aldéhydes, des
carbures d' hydrogène, des matières sucrées, des corps gras
neutres, etc. Tous ces corps jouissent de propriétés spéciales,
aussi nettement définies que celles des compos précédents, mais
d' un ordre tout nouveau et qui le plus souvent s' écarte
entièrement des analogies proprement dites de la chimie minérale.
Donnons quelques détails sur ce point capital. Les alcools, les
carbures d' hydrogène, les matières sucrées sont neutres, à un
titre tout différent des substances minérales : ennéral, ces
corps ne manifestent point leurs affinités vis-à-vis des autres
substances organiques par des actions subites et violentes. Un
semblable caractère les éloigne tout d' abord de presque tous les
composés minéraux et particulièrement des acides, des bases et
des sels, tous corps dont les réactionsciproques sont
immédiates et souvent énergiques. Cependant les principes
organiques dont il s' agit peuvent aussi entrer en combinaison,
soit entre eux, soit avec les acides. Ainsi prennent naissance
les éthers et les corps gras neutres, tous composés formés par l'
union d' un acide avec un principe organique et dans lesquels l'
acide se trouve neutralisé. Mais les composés résultants ne
jouissent point des propriétés ordinaires des sels proprement
dits. En effet, ces compos ne se prêtent point à des
dédoublements brusques, à des décompositions subites, comme les
sels le font en néral ; on ne réussit guère àplacer
immédiatement l' acide qui est contenu, par un autre acide ; ou
bien à l' unir de suite avec une base minérale : bref, les éthers
et les corps gras neutres ne manifestent qu' au bout d' un
certain temps les affinités des acides qui ont concouru à les
former.
p133
Les propriétés de ceux-ci sont en quelque sorte devenues latentes
; l' influence du temps et de conditions particulières est
presque toujours indispensable pour les mettre en évidence. Ce
sont là des pnomènes d' autant plus frappants, que les composés
organiques dont il s' agit ne sont pas doués d' une stabilité
absolue supérieure à celle des compos minéraux : au contraire,
les affinités qui tiennent réunis leurs générateurs sont peu
énergiques ; des influences très-faibles, celle de l' eau par
exemple, suffisent pour les décomposer. Par là même, les corps
dont il s' agit se prêtent plus facilement que les substances
minérales aux métamorphoses chimiques qui s' opèrent au sein des
êtres vivants. Bref, nous rencontrons ici tout un ordre de faits
nouveaux, dont la nature propre imprime un cachet spécial à la
chimie organique. C' est par l' étude de l' alcool que l' on a
débuté dans la longue série de découvertes qui ont conduit à ces
sultats fondamentaux. Extrait du vin par les arabes, et connu
des alchimistes sous le nom d' esprit ardent , l' alcool a
fixé de tout temps l' attention des expérimentateurs ; son étude
a joué un grand rôle dans les premières explications des
phénones chimiques, dans celle de la combustion principalement.
Bientôt on commença à soupçonner les transformations que les
acides éprouvent, par le fait de leur mélange avec l' alcool ; on
remarqua surtout l' atténuation de leurs propriétés actives qui
en est la conséquence. C' est ce que témoigne l' emploi de
semblables mélanges, connus en pharmacie sous les noms d'
esprit de nitre dulcifié, d' esprit de sel dulcif, ou eau
tempérée de Basile Valentin / Xvie siècle /, d' eau de Rabel
/ Xviie siècle /, d' élixir de vitriol, etc. La découverte
p134
des éthers ne tarda pas à manifester un nouveau progrès dans
cette direction. Le nom d' éther a été d' abord appliqué à un
liquide très-volatil, doué d' une odeur suave et pénétrante, que
l' on obtient en distillant un mélange d' alcool et d' acide
sulfurique. Déjà connu au Xvie siècle et décrit sous le nom d'
huile douce de vin par Valérius Cordus, l' éther devint,
dans le cours du Xviiie siècle, l' objet des investigations d'
un grand nombre de chimistes. à l' origine, on ne comprit point
clairement quels liens précis unissent l' éther avec les corps
sous l' influence desquels il prend naissance. Cependant on
définit d' une manière exacte les conditions de sa formation, au
moyen de l' alcool et de l' acide sulfurique ; on reconnut
également que d' autres acides, tels que l' acide nitrique, l'
acide marin / aujourd' hui acide chlorhydrique / et l' acide du
vinaigre / acide acétique / étaient capables de former avec l'
esprit-de-vin des liqueurs qui ont les propriétés essentielles de
l' éther : seulement ces nouvelles substances diffèrent de l'
éther proprement dit ou vitriolique par certaines propriétés qui
sont particulières à chacune d' elles. Les différences furent
attribuéess l' origine à la présence de quelque portion de l'
acide primitif, retenu dans l' éther résultant. De là les noms d'
éther acétique, d' éther marin, d' éther sulfurique ; les deux
premiers conformes aux opinions actuelles, le dernier inexact,
puisque l' éther proprement dit ne renferme aucun des éléments de
l' acide qui sert à l' obtenir. Toutefois les opinions de ce
temps étaient si vagues, si peu définies, les fondements de toute
la chimie si imparfaitement reconnus, qu' il faudrait se garder
d' assimiler trop étroitement à nos opinions celles de l' époque
antérieure à la chimie pneumatique. Souvent les mêmes mots ne
désignent plus les mêmes objets : un long usage en a
graduellement changé l' ancienne signification. C' est ainsi que
l' acide
p135
retenu dans les éthers, d' après les opinions anciennes,
participait bien des propriétés de l' acide nérateur ; mais il
intervenait aussi en vertu des idées relatives à l' acide
universel, que l' on croyait être latent dans une infinité de
composés. En l' absence de toute idée précise relativement à l'
existence et aux caractères des principes définis, tous les
éthers étaient regars à cette époque comme des variétés de l'
éther ordinaire. Cependant Scheele avait déjà commencé à énoncer
des résultats plus exacts sur la formation et la constitution des
éthers composés, lorsque les recherches de Thenard et celles de
Gehlen sur les éthers muriatique, acétique et nitreux fixèrent
les idées et les amenèrent à une précision définitive. Ces trois
éthers furent distingués les uns des autres avec exactitude ; les
relations remarquables qui existent entre eux et les acides
générateurs furent définis par Thenard. On reconnut, non sans
étonnement, que l' éther muriatique, quoique for par la
combinaison de l' acide muriatique / chlorhydrique / et de l'
alcool, est cependant privé de toutes les propriétés
caractéristiques des combinaisons muriatiques. Il ne précipite
pas le nitrate d' argent ; il n' agit point sur la teinture de
tournesol. Pour faire reparaître l' acide muriatique, il est
nécessaire detruire cet éther : sa combustion, par exemple,
développe une grande quantité d' acide, qui retrouve s lors l'
aptitude à rougir le tournesol et à pcipiter le nitrate d'
argent. Jusqu' à ce moment l' acide était demeuré dissimulé, dans
l' éther qu' il avait formé en s' unissant à l' alcool. Il s' y
trouvait donc combiné tout autrement que dans les muriates /
chlorures / ; il y existait de la me manière que les éléments
de l' eau, ceux de l' acide carbonique et ceux de l' ammoniaque
existent dans les matières
p136
animales. Il en est de même de l' éther acétique, formé avec le
concours de l' acide acétique et dans lequel cet acide a cessé d'
être manifeste. En effet cet éther, étant distillé avec la
potasse, reproduit l' acide acétique et l' alcool, c' est-à-dire
les deux corps générateurs. Seul, l' éther ordinaire ne retient
aucune trace de l' acide sulfurique employé à le former ;
circonstance qui doit faire disparaître le nom d' éther
sulfurique, sous lequel il a été si longtemps désigné. Après
avoir constaté cette différence, il devint nécessaire d' invoquer
pour l' éther ordinaire une explication particulière : sa
production fut alors attribuée par Fourcroy et Vauquelin à un
phénone de déshydratation, provoqué par l' acide sulfurique, et
qui était, disaient-ils, accompagné par laparation simultae
d' une portion du carbone de l' alcool. à la même époque remonte
la découverte de l' acide sulfovinique / acide éthylsulfurique /
; c' est un composé d' alcool et d' acide sulfurique. Le dernier
acide est dissimu, au même titre que l' acide chlorhydrique
dans l' éther correspondant ; il ne manifeste plus son action, ni
sur les sels de baryte, ni sur les sels de plomb, etc. Mais la
nature propre de l' acide sulfovinique est demeurée longtemps
controversée. Quoi qu' il en soit, à la suite des travaux de
Thenard relatifs aux éthers muriatique, nitreux, acétique, etc.,
les relations générales qui existent entre les éthers composés et
les acides générateurs, ainsi que le caractère propre des
combinaisons éthérées, se trouvèrent établies : un grand nombre
d' idées nouvelles et très-importantes résultèrent de ces travaux
. Nous en avons déjà signalé quelques-unes. Bornons-nous
maintenant à faire remarquer la généralisation successive du mot
éther. Appliq d' abord à une substance unique et déterminée, il
a fini par désigner toute une catégorie, qui comprend aujourd'
hui un nombre immense de principes
p137
définis ; en effet, tout acide peut s' unir à l' alcool et former
un éther correspondant. Parmi ces nouveaux composés, les uns
conservent la volatilité et l' odeur pénétrante de l' éther
ordinaire ; les autres, couverts depuis, sont, au contraire,
tout à fait fixes, inodores, et ne participent plus en apparence
aux propriétés physiques de l' éther ordinaire. Ce n' est pas
tout : le même nom d' éther a été également appliqué aux
combinaisons que les acides forment avec un grand nombre de
principes analogues à l' alcool, tels que l' esprit de bois, l'
huile de pommes de terre, l' éthal, etc. C' est ainsi que le nom
d' éther s' est trouvé peu à peu détourné de sa signification
originelle ; il a fini par désigner des composés, tels que le
blanc de baleine, qui ne présentent pour ainsi dire aucune
propriété commune avec le corpssigné autrefois sous la même
dénomination. De semblables généralisations ont caractérisé dans
tous les temps la nomenclature chimique, comme en témoigne l'
origine des mots sel, acide, alcali , etc. Les premières
bases de la théorie véritable des éthers ayant été jetées, on ne
tarda point à préciser davantage la relation qui existe entre l'
alcool, l' éther ordinaire et les éthers composés. Gay-Lussac
comparant les analyses de Saussure et les densités gazeuses de
l' alcool, de l' éther, du gaz oléfiant et de l' éther
chlorhydrique, fut conduit à des rapprochements remarquables : il
reconnut en effet que l' alcool et l' éther peuvent se
représenter par de l' eau et du bicarbure d' hydrogène / gaz
oléfiant / ; l' éther chlorhydrique se représente d' une manière
analogue par de l' acide chlorhydrique et du bicarbure d'
hydrogène, unis à volumes égaux. Cette relation fut bientôt
généralisée, d' abord par voie d' induction, puis par des
expériences directes et précises. Lacouverte de l' éthal, de
la tine et la connaissance des relations exactes qui existent
entre leurs compositions, conduisirent
p138
M Chevreul à regarder tous les éthers à oxacides comme
susceptibles d' être représentés par l' union de l' hydrogène
bicarboné avec les acides anhydres et les éléments de l' eau. Ici
intervient une idée nouvelle, d' une grande importance et qui
était demeurée jusque-là fort confuse. Elle est relative au rôle
que l' eau joue dans la formation des éthers composés. En effet,
lors de cette formation au moyen de l' alcool et d' un acide, les
éléments de l' eau s' éliminent ; au contraire, lors de la
composition d' un éther par un alcali, la réapparition des
mêmesnérateurs est accompagnée d' une manière nécessaire par
la fixation des éléments de l' eau. Par là s' expliquent en
quelque façon le caractère propre des éthers et la dissimulation
temporaire des acides qui s' y trouvent combinés. Les travaux de
M Chevreul sur les corps gras neutres, et les expériences
précises par lesquelles il a établi que ces corps sont résolubles
, dans des conditions analogues aux éthers composés, en acides
gras et en glycérine, avec fixation des éléments de l' eau,
contribuèrent surtout à porter l' attention sur ces nouvelles
considérations. Cependant la relation exacte et pondérale qui
existe entre les éthers à oxacides, leurs générateurs et l' eau
éliminée dans la combinaison, n' avait point été précisée avant
les expériences de Mm Dumas et Boullay. à ces derniers savants
revient l' honneur d' avoir fixé la constutition, l' équivalent
et la densité de vapeur des principaux éthers composés. D' après
leurs expériences, un éther composé est formé en géral par l'
union de I équivalent d' alcool et de I équivalent d' acide,
avec séparation de 2 équivalents d' eau : on peut formuler le
même fait d' une autre manière, en disant qu' un éther compo
sulte de l' union de volumes égaux de vapeur d' alcool et de
vapeur d' acide hydraté, avec séparation d' un même volume de
vapeur
p139
d' eau : le volume de l' éther composé, pris à l' état gazeux,
est le même que celui de l' alcool qui a concouru à le former. Il
est facile de conclure de cessultats que tout éther peut se
représenter, comme composition et volume gazeux, soit par l'
union du bicarbure d' hydrogène avec l' acide hydraté, soit par
l' union de l' acide anhydre avec l' éther ordinaire. Mm Dumas
et Boullay ont indiqué s l' origine ces deux manières d'
envisager les éthers ; ils ont préféle premier point de vue /
combinaisons de bicarbure /. Ils l' ont même étendu, non-
seulement aux formules, mais aux propriétés chimiques des éthers.
" l' hydrogène bicarboné,... etc. " . Le second point de vue /
combinaisons d' éther ordinaire / a é développé surtout par
Berzelius et par Liebig. Cette double manière de voir répond à
la double théorie des sels ammoniacaux, lesquels, comme on le
sait, peuvent se représenter, soit par l' ammoniaque unie à l'
acide hydraté, soit par l' oxyde d' ammonium combiné à l' acide
anhydre. Quelques années après les découvertes de Mm Dumas et
Boullay sur la théorie des éthers, cette théorie reçut une
généralisation inattendue. En effet, les expériences de Mm
Dumas et Peligot ont prouvé que l' esprit-de-bois, liquide
volatil formé dans la distillation du bois, jouit de propriétés
analogues à celles de l' alcool ; l' esprit-de-bois donne
naissance à des éthers composés aussi nombreux, formés exactement
suivant les mêmes lois, et jouissant des mêmes propriétés
générales. Les éthers composés de l' esprit-de-bois peuvent se
représenter par l' union de I équivalent d' esprit-de-bois et de
I équivalent d' acide, avec séparation de 2 équivalents d' eau
. L' esprit-de-bois peut également perdre
p140
la moitié de son oxygène sous forme d' eau et produire de l'
éther méthylique, analogue à l' éther ordinaire. Enfin il peut s'
oxyder, perdre 2 équivalents d' hydrogène en gagnant 2
équivalents d' oxyne, et produire de l' acide formique ; ce qui
constitue une nouvelle réaction, parallèle à celle en vertu de
laquelle l' alcool produit de l' acide acétique. Bref, entre les
combinaisons de l' alcool et celles de l' esprit-de-bois il
existe une symétrie parfaite. à chaque corps dérivé de l' alcool,
répond presque toujours un corps dérivé de l' esprit-de-bois,
formé dans des conditions presque identiques, doué de propriétés
semblables, et dont la formule se construit en retranchant de la
formule du composé alcoolique 2 équivalents de carbone et 2
équivalents d' hydrogène, c' est-à-dire la même différence qui
existe entre la formule de l' alcool et celle de l' esprit-de-
bois. L' existence et les propriétés de l' esprit-de-bois
permettent donc de généraliser les résultats déduits de l' étude
de l' alcool. Une constitution analogue à celle de l' alcool et
de l' esprit-de-bois appartient à l' éthal. Ce corps avait é
obtenu par M Chevreul en saponifiant le blanc de baleine, puis
analysé et caractérisé par ce savant. Les rapprochements qui
existent entre l' éthal et l' alcool ont été complétés par Mm
Dumas et Peligot. Ces savants ont établi que l' éthal peut
former : I des éthers composés, en s' unissant aux acides à
équivalents égaux avec élimination de 2 équivalents d' eau ;
2 un carbure d' hydrogène, l' éthalène, analogue au gaz oléfiant,
mais huit fois aussi condensé ; 3 on a reconnu depuis que l'
éthal engendre un acide for par la perte de 2 équivalents d'
hydrogène et par la fixation de 2 équivalents d' oxygène, à la
manière de l' acide acétique, etc. à chaque corps dérivé de l'
alcool ordinaire, correspond ennéral un corps dérivé de l'
éthal et formé par une réaction parallèle : la formule de ce
rivé se construit en ajoutant à la formule
p141
du composé alcoolique 28 équivalents de carbone et 28
équivalents d' hydrogène, c' est-à-dire la même différence qui
existe entre la formule de l' alcool et celle de l' éthal. C' est
ainsi que l' alcool est devenu le type d' une classe entière de
composés. Tous ces composés sont aujourd' hui désignés sous le
nom générique d' alcools : alcool ordinaire ou
éthylique , alcool méthylique / esprit-de-bois /, alcool
éthalique . Tous posdent les mêmes propriétés générales, et
donnent naissance à des composés analogues. Tout ce qui a é dit
de l' alcool ordinaire et de ses éthers s' applique aux autres
alcools et à leurs éthers : il suffit de connaître les composés
de l' alcool ordinaire, pour prévoir l' existence, la formule et
le mode de formation des composés correspondans, produits par les
autres alcools. Cette généralisation des propriétés d' un corps,
devenu ainsi le type de toute une classe, est d' autant plus
digne de remarque, qu' elle a pris, par les progrès successifs de
la science, un caractère de plus en plus frappant de précision et
de régularité. En effet, aux trois alcools pcédents est bientôt
venu se joindre un alcool nouveau, dont la couverte a achevé de
généraliser la théorie. C' est l' alcool amylique, découvert par
M Cahours dans les résidus de la fermentation vineuse. Cet
alcool est apte à former : I des éthers composés ; 2 un
carbure d' hydrogène, l' amylène, analogue au gaz oléfiant ; 3
un éther simple ; 4 un acide analogue à l' acide acétique et
identique avec l' acide valérianique. à chaque corps dérivé de l'
alcool ordinaire répond en général un corps dérivé de l' alcool
amylique : sa formule se construit en ajoutant à celle du compo
alcoolique 6 équivalents de carbone et 6 équivalent d'
hydrogène.
p142
Vii aldéhydes. -définitions des alcools. En me temps que le
nombre des alcools recevait de nouveaux accroissements, la
multitude de leurs dérivés augmentait chaque jour. Parmi ces
rivés, les uns appartiennent aux catégories des éthers, des
carbures d' hydrogène, des radicaux composés, des acides, etc.,
tous corps dont il a déjà été question dans les paragraphes
précédents. D' autres, au contraire, appartiennent à des groupes
nouveaux ; parmi ces derniers, les corps qui présentent le plus
d' intérêt sont les aldéhydes. Leurcouverte est liée à l'
étude de l' oxydation des alcools. En effet, c' est en oxydant l'
alcool avec ménagement, que l' on a for l' aldéhyde ordinaire.
L' aldéhyde est un compoextrêmement volatil, entrevu par
Dobereiner, étudié et définitivement fixé dans la science par
Liebig. Dérivé de l' alcool par simple perte de 2 équivalents
d' hydrogène, l' aldéhyde en retient le carbone et l' oxygène. Il
constitue, par sa composition et par ses propriétés, un corps
intermédiaire entre l' alcool et l' acide acétique. Sous l'
influence des agents d' oxydation, il peut fixer encore 2
équivalents d' oxyne et se changer en acide acétique. D' après
ces résultats, on voit que l' oxydation de l' alcool s' opère en
deux temps : dans le premier moment, ce corps perd de l'
hydrogène, sans rien gagner ; dans le deuxième moment, il gagne
de l' oxygène, sans perdre davantage d' hydrogène. L' aldéhyde n'
est point un être unique et sans analogue ; à chacun des alcools
cités tout à l' heure, répond en général un
p143
aldéhyde. Le nombre des aldéhydes connus aujourd' hui est même
plus grand que celui des alcools. En effet, on a couvert un
grand nombre de principes naturels, doués des mêmes caractères
fondamentaux que les aldéhydes et notamment aptes à se changer en
acides par simple fixation de 2 équivalents d' oxygène. La
plupart des essences oxygénées jouent le rôle d' alhydes. On a
jà signalé les métamorphoses de l' un de ces aldéhydes naturels
, l' essence d' amandes amères ; elles ont servi de type à l'
étude d' un grand nombre d' autres. Citons encore l' essence de
cannelle ou aldéhyde cinnamique, l' essence de reine de prés ou
aldéhyde salicylique, l' essence de cumin ou alhyde cuminique,
l' aldéhyde anisique, enfin le camphre lui-même. Les faits qui
précèdent montrent quelle importance présentent la découverte, l'
étude et la synthèse des alcools, combien est nombreuse et variée
la rie de leurs dérivés. Cette importance des alcools est
nettement résumée dans les paroles suivantes : " découvrir ou
caractériser un corps... etc. " . Ajoutons d' ailleurs que la
couverte d' un éther bien caractérisé, et qui n' appartient à
aucune série déjà connue, équivaut à celle d' un alcool, puisque
rien n' est plus facile que de changer un éther dans l' alcool
correspondant.
p144
Dans le veloppement progressif des sciences, les ies
fondamentales demeurent presque toujours entoues de quelque
obscurité, durant les premiers moments qui suivent leur
couverte. La notion des alcools n' a point échappé à cette loi
générale. En effet, les opinions sur la nature réelle des alcools
et sur le caractère véritable des composés qui doivent être
rangés dans cette catégorie ne furent point arrêtées tout d'
abord. Pendant quelque temps, on voulut tirer la définition des
alcools de la proportion d' oxygène qu' ils renferment ; mais
cette définition ne put subsister, parce qu' elle conduisait à
regarder comme des alcools véritables des composés d' un ordre
tout différent, tels que l' acétone et le camphre, dont la
fonction se rapproche plutôt des aldéhydes ; tels que le compo
singuliersigné tour à tour sous les noms d' acide phénique et
d' alcool phénique ; tels enfin que l' indigo lui-même. On a
encore proposé de caractériser les alcools par la relation plus
précise qui existe entre l' alcool et l' acide acétique ; mais
cette relation s' applique également à des corps qui ne sont
point des alcools. Aujourd' hui les idées ont été fixées par une
longue suite de discussions et de découvertes : la seule
finition rigoureuse et générale des alcools qui puisse être
donnée est celle que l' on tire de leur propriété fondamentale,
on veut dire de la propriété de former des éthers. Viii séries
homologues. -essais divers de classification. Au milieu de ces
fluctuations d' opinions qui accompagnent toute évolution
capitale des théories scientifiques, les chimistes arrivèrent à
établir une relation d' un tout autre ordre et d' un caractère
extrêmement général entre les divers composés
p145
organiques et particulièrement entre les alcools : c' est la
relation dite d' homologie. En voici l' origine. Lacouverte de
l' alcool amylique a mis dans tout son jour un lien très-
remarquable et déjà pressenti, entre la composition des alcools,
celle des acides et celle des carbures auxquels les alcools
peuvent donner naissance. Si l' on compare la composition des
quatre alcools : méthylique (..) , éthylique (..) , amylique (..) ,
éthalique (..) , celle des carbures d' hydrogène, gaz oléfiant ou
éthylène (..) , amylène (..) , éthane (..) , et celle des acides
correspondants, formique (..) , acétique (..) , valérianique (..) ,
palmitique (..) , il est facile de reconnaître que les formules des
divers composés, caractérisés par une fonction chimique commune,
ne diffèrent deux à deux que par un certain multiple du nombre
constant (..) . Or, au moment de la découverte de l' alcool
amylique, on connaissait déjà un grand nombre d' acides qui, sans
river d' un alcool connu, pouvaient à juste titre venir se
ranger dans la dernière des séries précédentes. En effet, leurs
propriétés chimiques sont analogues ; leurs propriétés
p146
physiques et leur équivalent varient d' une manière progressive ;
enfin leur composition ne diffère de celle des acides compris
dans cette série que par un certain multiple du même nombre
constant, (..) . C' est ainsi que les acides, butyrique (..) ,
caproïque (..) , oenanthylique (..) , caprique (..) , coccinique (..) ,
myristique (..) , margarique (..) , stéarique (..) , ont pu être
rapprochés à juste titre des quatre acides, formique (..) ,
acétique (..) , valérique (..) , palmitique (..) . L' ensemble de ces
acides constitue la série des acides gras . Il y a trente ans,
ces rapprochements sortaient des faits eux-mêmes avec trop d'
évidence pour n' être pas aperçus. Or " l' assimilation de tous
ces acides étant admise " , on est conduit à en conclure, d'
après M Dumas : " I qu' il existe un alcool,... etc. " .
p147
La dernière conclusion résultait déjà d' une manière non douteuse
des expériences de Laurent sur l' oxydation de l' acide oléique.
En effet, on a vu plus haut comment un acide gras, étant soumis à
l' action oxydante de l' acide nitrique, fournit successivement
les termes nombreux de deux ries d' acides, savoir : I des
acides volatils, tels que : l' acide caprique (..) , l' acide
caprylique (..) , l' acide oenanthylique (..) , l' acide caproïque
, l' acide valérique (..) , l' acide butyrique (..) , l' acide
propionique (..) , l' acide acétique (..) , tous corps analogues par
leur composition à l' acide stéarique et représentés également au
moyen de 4 équivalents d' oxygène, unis à un même carbure d'
hydrogène plus ou moins condensé ; 2 des acides fixes, tels que
: l' acide subérique (..) , l' acide pimélique (..) , l' acide
adipique (..) , l' acide succinique (..) l' acide oxalique (..) , tous
corps moins hydrogénés et plus oxygénés que les acides volatils
correspondants. Ce sont là évidemment des séries du même ordre
que celles qui dérivent des alcools. Ce n' est pas tout : on a
observé dans d' autres expériences une série de carbures d'
hydrogène correspondants, et qui se
p148
rattachent encore aux alcools. En effet, nous avons montré dans
les pages précédentes comment les acides gras, distillés avec un
alcali, fournissent les carbures d' hydrogène suivants : le
caprylène (..) , l' oenanthylène (..) , l' amylène (..) , le butylène
, le propylène (..) le gaz oléfiant ou éthylène (..) . Le
rapprochement de tous ces résultats, comparés à ceux que fournit
l' étude des alcools, a conduit les chimistes à grouper une
multitude de composés organiques suivant un certain nombre de
séries, formées d' après une loi régulière et commune. à l'
alcool ordinaire, (..) , répond toute une série d' alcools
représentés par la formule (..) , tous doués de propriétés
physiques et chimiques, les unes semblables, les autres modifiées
graduellement avec l' équivalent et conformément à une
progression régulière. L' alcool méthylique, l' alcool ordinaire,
l' alcool amylique et l' alcool éthalique sont les premiers
termes connus de cette série ; leur découverte a conduit depuis à
celle d' un grand nombre d' alcools analogues. Au gaz oléfiant,
, répond de même toute une série de carbures d' hydrogène (..) ,
doués de propriétés analogues et présentant la même composition,
avec une condensation différente. à l' acide atique, (..) , se
rattache également la série des acides (..) , laquelle commence à
l' acide formique et se termine aux acides gras proprement dits,
etc. à l' acide oxalique, (..) , répondent encore les acides (..) . à
l' aldéhyde ordinaire, (..) , répondent les aldéhydes (..) , etc. D'
après ces résultats, il semble que tous les corps d' une même
série ne sont que les variantes d' un même type général ; la
connaissance d' un certain nombre de termes d' une
p149
série conduit à prévoir celle de tous les autres, àcouvrir la
nature de leurs propriétés physiques et chimiques les plus
essentielles et jusqu' aux conditions de leur formation. En effet
, entre les séries précédentes et celle des alcools, il existe
des liens plus étroits que ceux des formules : car on vient de
dire qu' un alcool peut engendrer le carbure, l' aldéhyde et les
acides qui renferment la même proportion de carbone. Mais avant
d' aller plus loin, pour compléter l' histoire de la science, il
est nécessaire de revenir sur les essais qui ont été faits à
diverses époques pour classer l' ensemble des composés organiques
. Déjà Lavoisier regardait les carbures d' hydrogène comme des
radicaux combustibles, et les composés oxygénés comme leurs
oxydes. La simplicité de composition que présentent les carbures
les désignait en effet tout naturellement comme la source
probable des autres composés. à la suite des recherches de
Faraday sur les carbures d' hydrogène et des découvertes
relatives aux éthers, l' attention se porta sur ces idées d' une
manière toute particulière : comme exemple des préoccupations qui
s' agitaient dans les esprits, il y a trente ans, il suffira de
citer la tentative de R Hermann. En I 83 o, ce savant essayait
de classer les composés organiques, en les regardant comme formés
par l' union des carbures d' hydrogène, tantôt avec l' acide
carbonique et l' oxyde de carbone, tantôt avec l' eau et le
bioxyde d' hydrogène, tantôt enfin avec l' ammoniaque et les
acides nitreux ou nitrique. Mais les connaissances chimiques
étaient alors trop imparfaites pour permettre de poursuivre l'
application systématique de semblables ies à l' ensemble des
combinaisons organiques. On a vu ailleurs quel rôle Mm Dumas et
Boullay font jouer aux carbures d' hydrogène dans la théorie
p150
des éthers. Les radicaux admis par M Liebig dans l'
interprétation des mêmes phénomènes sont également des carbures
d' hydrogène. Vers I 836 Laurent, à la suite de ses travaux sur
la naphtaline, fit une nouvelle tentative pour grouper tous les
composés organiques autour des carbures d' hydrogène. D' après
les vues qu' il développe, ces corps sont des types ou radicaux
fondamentaux : en perdant de l' hydrogène, avec ou sans
substitution de cet élément par le chlore, par l' oxygène, etc.,
ils donnent naissance aux autres composés organiques. Le tableau
des dérivés d' un même carbure et l' indication des relations qu'
ils peuvent offrir, dans leurs formules et dans leurs fonctions,
se trouvent exposés par Laurent avec de longs veloppements. En
finitive, toute cette théorie repose sur l' élimination
successive de l' hydrogène et du carbone contenus dans le composé
fondamental. D' après Laurent, " les moyens des chimistes... etc
. " . La classification qu' il propose est très-nette en ce qui
concerne les carbures et leurs produits de substitution, c' est-à
-dire les corps dont l' étude a servi à construire cette
classification. à cet égard, elle renferme les premiers germes de
la théorie des homologues, et elle a rendu par là de très-grands
services. Mais il suffit de jeter les yeux sur les applications
que Laurent en fait à la mannite, au sucre de canne et aux
principes fixes naturels, pour juger de la stérilité des idées
qui en font la base, en dehors du cercle des composés volatils
sur lesquels elles ont é fondées. Cependant, à la suite des
couvertes nouvelles qui se succédaient rapidement, les théories
de Laurent ne tardèrent point à se transformer et à recevoir une
expression plus précise
p151
et plus étendue. En effet, les études relatives aux alcools
donnèrent aux idées leur direction définitive, et fixèrent les
relations entre ces alcools et les autres composés volatils,
notamment entre les alcools et les carbures d' hydrogène. Frappé
par la simplicité des rapprochements de cette nature qui ont été
exposés plus haut, Gerhardt a cru pouvoir y ramener tous les
phénomènes ; il en a fait la base de sa classification des
composés organiques. Dans le livre publié en I 845 par ce savant
, tout composé défini devient le type de certainesries de
composés homologues , dont la formule ne diffère du premier
terme que par le nombre (..) répé n fois ; les propriétés
physiques et chimiques de tous ces corps peuvent se déduire de
celles du premier composé, suivant les mêmes lois régulières qui
lient tous les alcools et tous les acides à l' un quelconque d'
entre eux. La classification des composés organiques ainsi
comprise repose d' abord sur une certaine relation entre leur
carbone et leur hydrone ; on peut aisément la ramener à l'
étude de certains carbures fondamentaux. Dans les plus importants
, le carbone et l' hydrogène sont contenus à équivalents égaux ;
dans les autres, le carbone prédomine en général sur l' hydrogène
; mais on retrouve entre les termes, pris deux à deux, la même
différence constante de composition, toujours exprimée par un
carbure équivalent au gaz oléfiant. Tels sont, par exemple, les
carbures d' hydrogène, homologues de la benzine ; tels, dans un
ordre de faits tout différent, les acides homologues de l' acide
oxalique. Les composés qui renferment dans leur équivalent la
même proportion de carbone, unie avec une quantité variable d'
hydrogène, se rattachent les uns aux autres, dans cette
classification, par des liens plus étroits que les composés qui
ne contiennent pas le même nombre d' équivalents de carbone. Il
semble, en effet, qu' il suffirait de brûler graduellement
p152
l' hydrogène d' un corps, sans en attaquer le carbone, pour
passer des composés dans lesquels les deux éléments sont contenus
à équivalents égaux, à ceux dans lesquels le carbone prédomine,
puis à des corps de plus en plus oxygénés. C' est ainsi, par
exemple, que l' on passe de l' alcool, (..) , à l' aldéhyde, (..) ,
puis à l' acide acétique, (..) , puis enfin à l' acide oxalique,
. L' hydrogène diminue, l' oxygène augmente peu à peu, tandis
que le carbone demeure invariable. En brûlant le carbone à son
tour, on retombe sur les homologues inférieurs. On voit
clairement ici comment la classification fondée sur les
homologues range les corps suivant une sorte d' échelle de
combustion telle, que, les termes supérieurs étant donnés, on
peut espérer former successivement tous les corps moins riches en
hydrogène et en carbone. On voit en même temps par quels liens
les idées de Gerhardt se rattachent à la théorie de Laurent.
Aussi Gerhardt, reproduisant à peu près les paroles de Laurent
citées plus haut, avait-il caractérisé sa classification par ces
paroles déjà signalées au début de notre introduction : " j' y
montre... etc. " . Il développait les avantages de cette
classification, en faisant observer qu' elle assemble les corps
suivant des groupes " qui présentent entre eux... etc. " .
p153
Les mérites attribués par Gerhardt à sa classification ont été
en grande partie justifiés par les applications auxquelles elle a
donné naissance : c' est un guide qui a conduit à bien des
couvertes. Elle a jeté une vive clarté sur l' étude de presque
toutes les matières volatiles et de la plupart des composés
organiques produits sous l' influence des réactifs. On peut
cependant reprocher à cette classification d' être trop exclusive
, de tendre à effacer toute considération qui ne repose point sur
des formules, et à rejeter dans l' ombre la plupart des
phénomènes d' isomérie. S' il est vrai de dire qu' elle comprend
dans ses cadres réguliers tous les cas possibles de combinaisons
hydrocarbonées, il est nécessaire d' ajouter qu' elle ne suffit
pas pour en assigner d' avance la fonction chimique et les
propriétés. Aussi n' est-elle de presque aucune utilité dans l'
étude des principes les plus essentiels de la végétation. La
plupart des auteurs qui ont voulu l' appliquer aux principes
sucrés, à l' amidon, au ligneux, aux hydrates de carbone, ont été
conduits à mutiler l' histoire de ces substances fondamentales.
Quoi qu' il en soit de ces réserves, la classification
systématique fone sur les séries homologues est adope
aujourd' hui par presque tous les chimistes à l' égard des
composés volatils. Dans cette étude, elle résume, sous une forme
concise, les relations capitales qui existent entre les carbures
d' hydrogène et les autres composés organiques. Le succès obtenu
par la classification qui vient d' être veloppée avait é
précédé et a été suivi par une multitude d' essais analogues, qu'
il serait trop long de signaler ici, parce qu' ils se rapportent
moins directement avec la pensée dominante
p154
de cet ouvrage. Disons cependant que Gerhardt a tenté de unir,
sous une expression commune, la théorie des radicaux symboliques,
celle des substitutions et celle des homologues. Il a réduit tous
les composés organiques à quatre types fondamentaux : l'
hydrogène, l' eau, l' acide chlorhydrique et l' ammoniaque ;
sortes de moulesnéraux dans lesquels il s' efforce de faire
rentrer toutes les substances et tous les phénomènes chimiques.
Depuis on a remplacé ces types par quatre autres plus rationnels,
car ils représentent les rapports les plus généraux de la
combinaison chimique. Ce sont l' hydrogène, monoatomique, c' est-
à-dire apte à se combiner avec un seul atome des autres éléments
; l' oxygène, diatomique ; l' azote, triatomique ; le carbone,
tétratomique. Ces types, envisagés comme exprimant les modules
les plus répandus de la combinaison chimique, peuvent offrir
quelques commodités de langage. Mais ils ont été présentés à un
point de vue plus élevé, et comme l' expression d' une révolution
dans la chimie, comparable à celle que Lavoisier a opérée il y a
un siècle, et désignée sous le nom ambitieux de chimie moderne
, fondée sur la théorie atomique. Nous ne pouvons passer sous
silence ce système, qui repose en effet sur une conception
nouvelle de la combinaison chimique ; nous allons l' exposer dans
toute sa rigueur logique, d' après les ouvrages de ses adeptes :
Gerhardt, Mm Cannizzaro, Williamson, Würtz, Kékulé,
Hofmann et Frankland, qui comptent parmi les noms les plus
illustres de la science contemporaine.
Livros Grátis
( http://www.livrosgratis.com.br )
Milhares de Livros para Download:
Baixar livros de Administração
Baixar livros de Agronomia
Baixar livros de Arquitetura
Baixar livros de Artes
Baixar livros de Astronomia
Baixar livros de Biologia Geral
Baixar livros de Ciência da Computação
Baixar livros de Ciência da Informação
Baixar livros de Ciência Política
Baixar livros de Ciências da Saúde
Baixar livros de Comunicação
Baixar livros do Conselho Nacional de Educação - CNE
Baixar livros de Defesa civil
Baixar livros de Direito
Baixar livros de Direitos humanos
Baixar livros de Economia
Baixar livros de Economia Doméstica
Baixar livros de Educação
Baixar livros de Educação - Trânsito
Baixar livros de Educação Física
Baixar livros de Engenharia Aeroespacial
Baixar livros de Farmácia
Baixar livros de Filosofia
Baixar livros de Física
Baixar livros de Geociências
Baixar livros de Geografia
Baixar livros de História
Baixar livros de Línguas
Baixar livros de Literatura
Baixar livros de Literatura de Cordel
Baixar livros de Literatura Infantil
Baixar livros de Matemática
Baixar livros de Medicina
Baixar livros de Medicina Veterinária
Baixar livros de Meio Ambiente
Baixar livros de Meteorologia
Baixar Monografias e TCC
Baixar livros Multidisciplinar
Baixar livros de Música
Baixar livros de Psicologia
Baixar livros de Química
Baixar livros de Saúde Coletiva
Baixar livros de Serviço Social
Baixar livros de Sociologia
Baixar livros de Teologia
Baixar livros de Trabalho
Baixar livros de Turismo