du quartier Latin, l’auteur de Cenderinette. Dejoie, Caoudal ! L’étrange
accent que ces noms prenaient pour lui depuis deux heures ! et comme elle
lui semblait menteuse et lugubre, l’histoire de l’étudiante et de son petit
ménage, maintenant qu’il en savait les tristes dessous, qu’il avait appris par
Déchelette l’affreux surnom donné à ces mariages du trottoir.
Toute cette ombre, plus noire du voisinage de la mort, l’effrayait. Il revint
sur ses pas, frôlant des blouses qui rôdaient, silencieuses comme des ailes
de nuit, des jupes sordides à la porte de bouges dont les vitres dépolies
découpaient de grandes lumières de lanterne magique où des couples
passaient, s’embrassaient… Quelle heure ?… Il se sentait brisé, comme
une recrue à la fin de l’étape ; et de sa douleur assourdie, tombée dans ses
jambes, il ne lui restait que la courbature. Oh ! se coucher, dormir… Puis
au réveil, froidement, sans colère, il dirait à la femme : « Voilà… je sais
qui tu es… Ce n’est pas ta faute ni la mienne ; mais nous ne pouvons plus
vivre ensemble. Séparons−nous… » Et pour se mettre à l’abri de ses
poursuites, il irait embrasser sa mère et ses sœurs, secouer au vent du
Rhône, au libre et vivifiant mistral, les souillures et l’effroi de son mauvais
rêve.
Elle s’était couchée, lasse d’attendre, et dormait en plein sous la lampe, un
livre ouvert sur le drap devant elle. Son approche ne l’éveilla pas ; et
debout près du lit, il la regardait curieusement comme une femme
nouvelle, une étrangère qu’il aurait trouvée là. Belle, oh ! belle, les bras, la
gorge, les épaules, d’un ambre fin, solide, sans tache ni fêlure. Mais sur ces
paupières rougies, – peut−être le roman qu’elle lisait, peut−être
l’inquiétude, l’attente, – sur ces traits détendus dans le repos et que ne
soutenait plus l’âpre désir de la femme qui veut être aimée, quelle
lassitude, quels aveux ! Son âge, son histoire, ses bordées, ses caprices, ses
collages, et Saint−Lazare, les coups, les larmes, les terreurs, tout se voyait,
s’étalait ; et les meurtrissures violettes du plaisir et de l’insomnie, et le pli
de dégoût affaissant la lèvre inférieure, usée, fatiguée comme une margelle
où tout le communal est venu boire, et la bouffissure commençante qui
délie les chairs pour les rides de la vieillesse.
Cette trahison du sommeil, le silence de mort enveloppant cela, c’était
grand, c’était sinistre ; un champ de bataille à la nuit, avec toute l’horreur
Sapho
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