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cristallisation des caractères, une transparence immuable de l’image de chacun, bref la
détermination du destin de chaque personnage figé comme une statue de bronze. Au contraire,
dans Haute Surveillance, l’un des personnages prend l’ascendant sur les autres. De fait, Yeux-
Verts réussit non seulement à construire sa propre image indépendamment de la volonté des
autres, mais il parvient aussi à guider les choix et le destin de ceux qui cohabitent avec lui.
D’une part, il domine Maurice sans difficulté, car celui-ci est naturellement faible et
influençable ; d’autre part, il subjugue Lefranc, en ce sens que ce dernier, qui voulait le
réduire à néant, finit par le copier. Yeux-Verts impose à tel point l’image de chef et d’assassin
qu’il s’est lui-même construite que Lefranc, désireux de suivre le même chemin, tue Maurice
inutilement, car cet assassinat ne suscite aucune reconnaissance et admiration chez celui qui
l’a inspiré, c’est-à-dire Yeux-Verts, lequel stigmatise son compagnon en disant : « Ce que tu
viens de faire ? Supprimer Maurice ? Le tuer pour rien ? Pour la gloire donc pour rien »
117
.
Contrairement à ce qu’affirme l’auteur de l’article, l’œuvre de Genet n’est donc pas
purement affective. Au même titre que Huis clos, elle met en avant, bien que de façon
différente, un problème existentiel où l’homme est confronté à son destin, à autrui, à sa liberté
et à la finitude de sa vie. Si le désespoir correspond, comme l’a écrit Sartre, au fait que la vie
ne s’adapte jamais totalement aux volontés de l’homme
118
, on peut dire que Yeux-Verts
accepte cette condition. Tel Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus – qui tire sur le corps
inerte de l’Arabe alors qu’il a déjà tué –, il assume son geste absurde et l’absurdité de son
existence. Il affirme ainsi : «Je n’ai rien voulu de ce qui m’est arrivé. Tout m’a été offert. Un
cadeau du bon Dieu »
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, et peut ainsi affronter la mort en toute quiétude, son devoir étant
accompli, car il a repris son destin en main. « Quand mon souvenir te reviendra », avait-il dit
à Maurice, quand celui-ci doutait de sa force.
120
.
Dans Haute Surveillance, le cadre dans lequel évoluent les personnages peut être
assimilé à celui de Huis clos. On peut de même voir des ressemblances entre les deux pièces
si l’on observe le nombre de personnages et la tension qui règne entre eux. Toutefois, cela ne
veut pas dire que la forme soit la même dans les deux œuvres et ce pour la raison bien simple
que les personnages de Sartre sont morts tandis que ceux de Genet sont bien vivants. Les
premiers se trouvent en enfer – même si celui-ci est symbolique –, les seconds sur Terre en
prison. Inès, Estelle et Garcin, en plus de l’impossibilité de contact avec les mortels, sont dans
l’incapacité d’intervenir dans le présent ou dans le futur puisque ceux-ci ne font plus partis de
117
GENET, Jean. Op. cit., p. 110.
118
SARTRE, Jean-Paul. L’Existentialisme est un humanisme. Paris, Nagel, 1966, p. 50.
119
GENET, Jean. Op. cit., p. 111.
120
Ibidem, p. 89.