Les Poissons et le Cormoran
Il n'était point d'étang dans tout le voisinage
Qu'un Cormoran n'eût mis à contribution.
Viviers et réservoirs lui payaient pension.
Sa cuisine allait bien : mais, lorsque le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La même cuisine alla mal.
Tout Cormoran se sert de pourvoyeur lui−même.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux,
N'ayant ni filets ni réseaux,
Souffrait une disette extrême.
Que fit−il ? Le besoin, docteur en stratagème,
Lui fournit celui−ci. Sur le bord d'un Etang
Cormoran vit une Ecrevisse.
Ma commère, dit−il, allez tout à l'instant
Porter un avis important
A ce peuple. Il faut qu'il périsse :
Le maître de ce lieu dans huit jours pêchera.
L'Ecrevisse en hâte s'en va
Conter le cas : grande est l'émute.
On court, on s'assemble, on députe
A l'Oiseau : Seigneur Cormoran,
D'où vous vient cet avis ? Quel est votre garand ?
Etes−vous sûr de cette affaire ?
N'y savez−vous remède ? Et qu'est−il bon de faire ?
− Changer de lieu, dit−il. − Comment le ferons−nous ?
− N'en soyez point en soin : je vous porterai tous,
L'un après l'autre, en ma retraite.
Nul que Dieu seul et moi n'en connaît les chemins :
Il n'est demeure plus secrète.
Un Vivier que nature y creusa de ses mains,
Les Poissons et le Cormoran 2