général, dès qu'un homme semblait y tenir par quelque fil, elle saisissait cet 
homme, scrutait sa vie, ses relations, ses discours, ses manuscrits, ses pensées, 
et lui découvrait bientôt quelque hérésie particulière qui l'envoyait au bûcher. Ainsi 
procédait le comité de salut public, quand, parmi les suspects, il cherchait des 
coupables. La politique révolutionnaire avait classé, parqué ses ennemis ; et, au 
moindre péril, sans aucun fait, sans aucun élément légal de crime, elle envoyait au 
milieu d'eux sa justice pour y choisir d'après les noms propres, les antécédens, les 
circonstances du jour, ceux qu'elle jugeait bons à poursuivre. Et qu'on ne répudie 
point ces souvenirs, qu'on ne se récrie point contre ces exemples. Quiconque, trois 
ans plus tôt, eût dit à ces hommes qu'ils feraient un jour ce qu'ils ont fait, eût aussi 
excité leur indignation. Mais il n'est pas donné à notre faible nature d'échapper au 
fatal pouvoir du mal qu'elle accepte une fois. Quand il s'en est saisi, il la garde, la 
serre, la pousse, et la contraint à tirer elle-même les conséquences du principe 
pervers dont elle a subi le joug. Et quoi ? à la moindre apparition de l'esprit 
révolutionnaire, on nous menace de ses plus furieux excès ; on nous dit que rien 
n'en peut sauver, ni les intentions, ni le talent, ni le courage ; et on ne veut pas que 
les symptômes de la justice révolutionnaire nous inspirent les mêmes terreurs ! on 
ne veut pas que les faits généraux, les poursuites intentées à raison non des 
actes, mais des personnes, toutes ces pratiques des temps sinistres nous révèlent 
dès aujourd'hui ce qu'elles portent dans leurs flancs ! Acceptez donc toute 
l'expérience ; la révolution n'a pas été faite pour donner seulement à quelques-uns 
le droit de s'armer, contre la liberté, des fureurs de la licence. Nous aussi, nous 
voulons qu'elle nous dise comment naît la tyrannie, et par quelles portes le pouvoir 
judiciaire entre dans les voies de l'iniquité.  
De toutes ces portes, les faits généraux sont la plus large et celle qui se ferme le 
plus irrévocablement derrière ceux qui l'ont franchie.  
CHAPITRE V.  
Des agens provocateurs.  
J'ai nommé Titus Sabinus ; voici comment Tacite raconte sa perte :  
« L'année du consulat de Junius Silanus et de Silius Nerva fut souillée, en 
s'ouvrant, par l'emprisonnement d'un illustre chevalier romain, Titius Sabinus, 
victime de son amitié pour Germanicus. Il n'avait point cessé d'être fidèle à sa 
femme et à ses enfans, les visitant dans leur maison, les accompagnant en public, 
de tant de cliens le seul qui restât. Il était ainsi devenu cher aux gens de bien, et 
importun aux méchans. Latinius Latiaris, Porcius Caton, Petitius Rufus, M. Opsius, 
sortant de la préture et avides du consulat, entreprennent sa perte. On n'arrivait au 
consulat que par Séjan, et la bienveillance de Séjan ne s'obtenait que par le crime. 
Il fut convenu entre eux que Latiaris, qui avait avec Sabinus quelques relations, 
tendrait le piège, que les autres seraient témoins, qu'enfin ils intenteraient une 
accusation. Latiaris commença donc en laissant tomber devant Sabinus des 
paroles comme échappées au hasard. Bientôt il le loua de sa constance et de ce 
qu'ami d'une maison florissante, il ne l'avait pas, comme tant d'autres, abandonnée 
dans ses revers. En même temps il se répandait en discours à l'honneur de 
Germanicus et déplorait le sort d'Agrippine. Et comme le coeur des hommes est 
enclin à s'amollir dans la douleur, Sabinus pleura avec lui, et joignit ses plaintes 
aux siennes. Peu après, plus hardi, Latiaris attaque Séjan, sa cruauté, son 
arrogance, ses desseins ; dans ses insultes, il n'épargne pas même Tibère. Ces