Download PDF
ads:
Ce document est extrait de la base de données
textuelles Frantextalisée par l'Institut National de la
Langue Française (InaLF)
Des caractères distinctifs de la géographie [Document électronique] / P. Vidal
de la Blache
p289
Appelé à parler deographie devant un auditoire de futurs
maîtres fors aux méthodes scientifiques, mais se pparant à
des enseignements divers, je me suis demandé, non sans embarras,
quelle était, parmi les questions que souve un tel sujet, celle
qui convenait le mieux en la circonstance. J' ai été frappé, à la
flexion, des malentendus quignent sur l' idée me de
géographie. Dans le groupe des sciences naturelles auxquelles
elle se rattache sans nul doute, elle tient une place à part. Ses
affinités n' excluent pas de sensibles différences. Or, c' est
surtout sur ces différences que les idées manquent de précision.
Il m' a semblé qu' en essayant de porter quelque lumière sur ce
té des choses, c' est-à-dire en m' attachant à spécifier ce qui
distingue la géographie, je me conformerai à l' intention qui
préside à ces conférences. Ladagogie est une oeuvre de
coordination et de rapports ; ne doit-elle pas être considérée
comme une sorte de philosophie embrassant dans une vue d'
ensemble ce qui contribue à la formation de l' esprit ? La
géographie est tenue de puiser aux mêmes sources de faits que la
géologie, la physique, les sciences naturelles et, à certains
égards, les sciences sociologiques. Elle se sert de notions dont
quelques-unes sont l' objet d' études approfondies dans des
sciences voisines. De là vient, pour le dire en passant, le
reproche qui lui est parfois adres
p290
de vivre d' emprunts, d' intervenir indiscrètement dans le champ
d' autrui, comme s' il y avait des compartiments réservés dans le
domaine de la science. Gardons-nous d' attacher à ces critiques
plus d' importance que ne leur en attribuent sans doute leurs
auteurs. En réalité, comme nous verrons, la ographie a bien un
domaine qui lui est propre. L' essentiel est de considérer quel
usage elle fait des dones sur lesquelles elle s' exerce. Leur
applique-t-elle des thodes qui lui appartiennent ? Apporte-t-
ads:
Livros Grátis
http://www.livrosgratis.com.br
Milhares de livros grátis para download.
elle des points de vue d' les choses puissent apparaître en
perspective spéciale, qui les montre sous un jour nouveau ? Toute
la question est là. Dans la complexité des phénomènes qui s'
entre-croisent dans la nature, il ne doit pas y avoir une seule
manière d' aborder l' étude des faits ; il est utile qu' ils
soient envisagés sous des angles différents. Et si la ographie
reprend à son compte certaines dones qui portent une autre
estampille, il n' y a rien dans cette appropriation qu' on puisse
taxer d' anti-scientifique. I-l' unité terrestre. La ographie
comprend par définition l' ensemble de la terre. Ce fut le rite
des mathématiciens-géographes de l' antiquité, érathosthènes,
Hipparque, Ptolémée, de poser en principe l' unité terrestre,
de faire prévaloir cette notion au-dessus des descriptions
empiriques de contrées. C' est sur cette base que la géographie a
pu se développer comme science. L' idée de correspondance, de
solidarité entre les phénomènes terrestres, a pénétré ainsi et
pris corps, fort lentement il est vrai, car il s' agissait de l'
appuyer sur des faits, et non sur de simples hypothèses. Lorsque,
au commencement du Xixe siècle, Alexandre De Humboldt et
Carl Ritter se firent les initiateurs de ce qu' on appelait
alors la géographie comparée, ils se guidaient d' après une vue
générale du globe ; et c' est à ce titre que leur impulsion fut
féconde. Tous les progs accomplis depuis dans la connaissance
de la terre se sont accordés à mieux mettre en lumière ce
principe d' unité. S' il est un domaine il se manifeste avec
une souveraine clarté, c' est celui des masses liquides qui
couvrent les trois quarts du globe et de l' océan atmosphérique
qui l' enveloppe. Dans les mouvements de l' atmospre, écrit le
téorologiste Dove, " aucune partie ne peut s' isoler, chacune
agit sur sa voisine " . C' est ainsi qu' en se répercutant, les
bourrasques formées aux abords de Terre-Neuve abordent les
tes de l' Europe occidentale et par contre-coup le nord de la
diterranée ; et si on les perd de vue ensuite et que leur
marche
p291
échappe aux observatoires, il n' est pas douteux que la série des
percussions se poursuive. Les parties de l' oan sont mises en
communication intime par une circulation de fonds et de surface.
" Quum Oceanus Movetur, Totus Movetur " , écrivait dé
Bernard Varenius. La partie solide du globe ne subit pas moins
l' action d' une dynamique nérale. L' ensemble des faits
tectoniques que les explorations pouses dans les diverses
contrées de la terre ont mis en lumière, montre assez de
coordination pour qu' édouard Suess ait pu édifier sur eux une
synthèse, dont l' idée met auparavant paru chimérique. La
connaissance des régions polaires nous promet enfin de nouveaux
exemples de correspondance et de corrélation, qui éclaireront
sans doute d' un jour nouveau la genèse des pnomènes. Cette
idée d' unité est commune sans doute à toutes les sciences qui
touchent à la physique terrestre, de même qu' à celles qui
ads:
étudient la partition de la vie. L' insolation, l' évaporation,
la chaleur scifique de la terre et de l' eau, les changements
d' état de la vapeur d' eau, etc., s' éclairent par la
comparaison réciproque des diverses parties du globe. La loi de
pesanteur domine toute la diversité des formes d' érosion et d'
entraînement, et se manifeste ainsi dans sa plénitude. Toute
espèce vivante est dans une perpétuelle tension d' efforts pour
acquérir ou fendre un espace qui lui permette de subsister, et
cela sert de guide au naturaliste. La connaissance de ces faits
qui, dans des ordres divers et à des degrés différents,
contribuent à fixer la physionomie de la terre, résulte d' un
ensemble d' observations chaque partie du globe doit, autant
que possible, apporter son témoignage. Chaque science accomplit
en ce sens la tâche qui lui est propre ; mais on ne peut pas dire
qu' elle remplisse pour cela lele de la géographie : c' est ce
le donc qu' il s' agit de préciser. Ii-la combinaison des
phénomènes. Je ne saurais mieux le faire qu' en empruntant à l'
auteur d' un des meilleurs ouvrages qui aient été publiés sur la
climatologie, le professeur J Hann, les termes dont il se sert
pour établir la distinction entre la météorologie et l' étude des
climats. " celle-ci, dit-il, est de sa nature plus descriptive ;
elle a pour objet de livrer au lecteur une image aussi vivante
que possible de l' action combinée de tous les phénomènes
atmospriques sur une partie de la terre. " on peut dire, en
généralisant cette remarque, que la géographie, s' inspirant
comme les sciences voisines de l' idée d' unité terrestre, a pour
mission spéciale de chercher comment les lois physiques ou
biologiques qui régissent le globe, se combinent et se modifient
en s' appliquant
p292
aux diverses parties de la surface. Elle les suit dans leurs
combinaisons et leurs interférences. La terre lui fournit pour
cela un champ presque inépuisable d' observations et d'
expériences. Elle a pour charge sciale d' étudier les
expressions changeantes que revêt suivant les lieux la
physionomie de la terre. Remarquons, avant d' aller plus loin,
que cette combinaison est la forme me sous laquelle les
phénomènes s' offrent partout dans la nature. Laographie est
sollicitée vers les réalités. " dans la nature, a dit Buffon, la
plupart des effets dépendent de plusieurs causes différemment
combinées. " avec plus de pcision encore, le penseur éminent,
très attentif aux choses géographiques, que fut Henri Poincaré,
s' exprime ainsi dans un de ses derniers écrits : " l' état du
monde, et même d' une très petite partie du monde, est quelque
chose d' extrêmement complexe et qui pend d' un très grand
nombre d' éléments. " la justesse de ces vues nous frappe, quelle
que soit la partie de la géographie que nous considérions. Le
mode du sol résulte du conflit entre les énergies queploient
pour l' attaque les agents météoriques et la force de résistance
que leur opposent les roches ; mais ce conflit s' exerce sur un
champ qui a déjà été reman dans le cours des âges, et qui l'
est encore incessamment suivant les modifications des niveaux de
base et les oscillations de climat. Ce qu' on appelle le climat
d' une conte est une moyenne à laquelle contribuent la
température, l' humidité, la luminosité, les vents ; mais l'
évaluation de ces divers éléments ne donnerait qu' une idée fort
incomplète, si l' on ne cherchait pas de quelle façon ils se
combinent, non seulement entre eux, mais avec le relief, l'
orientation, les formes du sol, la végétation et même les
cultures. Voit-on, par exemple, le maximum saisonnier de chaleur
coïncider avec le maximum d' humidité ? Tous les caractères d' un
certain type de climat, celui du sud de la Méditerrae, se
dressent devant l' esprit. D' autres types, avec de multiples
nuances, correspondent, au contraire, aux divers régimes de
pluies d' été. La diversité d' éléments à considérer n' est pas
moindre dans le domaine des êtres vivants. La végétation d' une
contrée est un ensemble composite, dans lequel on distingue des
plantes de provenances diverses : les unes envahissantes, les
autres fugiées, d' autres qui sont des legs de climats
antérieurs, d' autres qui ont suivi d' elles-mêmes les cultures
de l' homme. Tout indique aussi, à mesure que l' on avance dans
l' examen et l' analyse des faunes régionales, leur caractère
composite. Des migrations, dont le sens et les dates nous
échappent le plus souvent, ont brassé les tribus d' êtres vivants
, y compris les hommes ; et c' est de leurs résidus que se sont
formés, sur les diverses contrées où ils ont pu se concentrer,
les occupants qu' on y rencontre. Tandis que les classifications
linguistiques nous donnent
p293
l' illusion de grands groupes humains, les indices que
fournissent l' anthropologie et la préhistoire s' accordent à
montrer la diversité des races qui, à la manière d' alluvions
successives, ont formé la plupart de nos peuplements. L' analyse
de ces éléments, l' étude de leurs rapports et de leurs
combinaisons, composent la trame de toute recherche géographique.
Il ne peut plus être question, d' aps ce point de vue, d' une
antinomie de principe entre deux sortes de géographie : l' une
qui, sous le nom de géographie générale, en serait la partie
vraiment scientifique ; et l' autre qui s' appliquerait, sans
autre fil conducteur qu' une curiosité superficielle, à la
description des contrées. De quelque côté qu' on les envisage, ce
sont les mes faits néraux, dans leurs enchnements et leur
corrélation, qui s' imposent à l' attention. Ces causes, s' il
est permis de se servir de ce mot ambitieux, engendrent en se
combinant les variétés sur lesquelles le géographe travaille :
soit qu' il se propose de terminer des types de climats, de
formes de sol, d' habitat, etc., comme il le fait quand il traite
de géographienérale ; soit qu' il s' efforce de caractériser
des contrées, de les peindre même, car le pittoresque ne lui est
pas interdit. Iii-les surfaces. Le champ d' étude par excellence
de la géographie, c' est la surface ; c' est-à-dire l' ensemble
des pnomènes qui se produisent dans la zone de contact entre
les masses solides, liquides et gazeuses qui constituent la
plate. Ce contact est le principe de phénones sans nombre,
dont quelques-uns à peine soupçonnés encore ; il agit comme un
réactif pour mettre en évidence les énergies terrestres. La
colonne d' air se modifie sans cesse au contact des surfaces
solides ou liquides ; et la vapeur d' eau, transportée à la suite
de ces oscillations, s' accroît, se condense ou se pcipite
suivant l' état thermique des surfaces qu' elle rencontre. Le sol
est en butte de la part des météores, non seulement à des
attaques de vive force, mais à des atteintes par inflitration.
Son épiderme se durcit, ou bien il se décompose à leur contact.
L' air et l' eautrent alors dans sa texture ameublie ; et la
terre devient, suivant l' expression de Berthelot, quelque chose
de vivant. Les ferments et les bactéries entrent en mouvement ;
l' acide carbonique dissout les phosphates, la chaux, la potasse
et autres ingrédients qui entrent dans le corps des plantes, et
qui s' y élaborent, sous l' action de la lumière, pour servir de
nourriture aux autres êtres vivants. Sans doute l' intérieur de
la terre est le siège d' autres phénomènes de transformation, d'
incalculable portée. La géographie toutefois n' y
p294
est qu' indirectement intéressée. S' il est à peu près certain
que les plissements et renversements qui prennent un aspect si
saisissant dans certaines chaînes de montagnes, se sont fors en
profondeur sous l' effort de pressions et de contractions énormes
, cette oeuvre souterraine ne devient un objet géographique que
lorsque par l' action combinée des soulèvements et des
dénudations elle apparaît à la surface. Elle prend alors place
dans le relief, s' associe aux autres formes du sol, influe sur
le modelé de ce qui l' entoure ; et elle devient un des plus
puissants centres d' action sur le climat, l' hydrographie, la
gétation et les hommes. Parmi les surfaces qu' étudie la
géographie, celles de la lithosphère ont l' avantage de conserver
plus ou moins l' empreinte des modifications qu' elles ont
éprouvées depuis leur émersion. Elles présentent par là un
intérêt particulier et ouvrent une nouvelle source d'
enseignements. C' est comme un tableau enregistreur, sur lequel
l' état présent des formes se montre la continuation d' états
antérieurs. à travers les formes qui appartiennent au cycle
présent d' évolution, on discerne des linéaments de celles qui
les ont pcédées. Ils subsistent assez nets souvent pour qu' on
distingue jusqu' à quel deg d' évolution étaient parvenues les
formes du sol, dues à des actions de même nature que celles qui
travaillent sous nos yeux, quand un nouveau cycle d' érosion s'
est ouvert. Dans la chaîne des âges, c' est naturellement l'
anneau le plus proche, l' antécédent immédiat qui a le moins
souffert de l' usure. Il se transforme plutôt qu' il n' est aboli
. L' oeuvre du passé persiste à travers le présent comme la
matière sur laquelle s' exercent les forces actuelles. Nous
sommes dès lors en pleine géographie. Dans les contes qu'
avaient envahies les glaciers quaternaires, les cours d' eau n'
ont pas fini de déblayer les bris qu' ils avaient accumulés.
Quelques-uns cherchent encore leur lit à travers ces matériaux,
dont ils forment des alluvions. Les vallées dont un climat plus
humide avait sillonné le Sahara sont, en apparence du moins, des
formes fossiles : elles exercent néanmoins une influence sensible
sur les sources, les puits, la végétation, et le vent s' emparant
de leurs alluvions sableuses, y trouve les matériaux des dunes
qu' il édifie. L' aspect de la surface solide se cèle ainsi
comme le résultat de modifications sans cesse remaniées d' âge en
âge ; il représente une suite, et non un état une fois don et
atteint d' emblée. Les formes actuelles ne sont intelligibles que
si on les envisage dans la succession dont elles font partie.
Comment expliquer par exemple, sans recourir à la considération
d' un régime de pentes antérieur, la direction si paradoxale en
apparence de ces fleuves qui traversent, au lieu de les
contourner, les obstacles qui semblent s' opposer à leur passage
? Tout cela restait une énigme, tant que n' avait pas pénétré
dans la science, à l' aide de la comparaison et de l' analyse,
cette notion de l' évolution
p295
des formes qui en est la clef. On peut dire qu' elle domine
aujourd' hui toute recherche. Iv-la force du milieu et l'
adaptation. Si l' on vient à se placer dans l' état d' esprit du
géographe, on se voit donc aux prises avec des facteurs d' ordre
divers, de provenance térogène, et formant entre eux des
combinaisons multiples ; on sent que l' équilibre qui résulte de
ces combinaisons n' a rien d' absolument stable, qu' il est à la
merci de modifications auxquelles la multiplicité des facteurs
ouvre une ample marge. On peut se demander où est un principe
directeur qui permette d' édifier sur ce terrain en apparence
mouvant desthodes qui se tiennent, et de tenter des essais
coordonnés de descriptions terrestres. Recourons encore à l'
observation. Ce que l' observation et l' analyse rencontrent sur
ces surfaces où s' impriment les phénomènes, ce ne sont pas des
cas isolés, des traits incohérents, mais des groupes de formes
obéissant à une action d' ensemble, liées par des affinités, et
travaillant de concert à éliminer de la surface ce qui ne
convient plus aux conditions actuelles. Là où les cours d' eau n'
ont plus la force d' entraîner les débris de destruction des
roches, l' aspect tout entier du modelé porte l' empreinte de
cette impuissance : d' étroites berges terreuses encaissant les
thalwegs, de grandes surfaces unies au-dessus desquelles émergent
çà et là des sommets coniques, composent d' une diversité de
traits qui néanmoins convergent, l' ensemble classique du paysage
de région aride. Le contraste est complet avec le monde de formes
qui peuplent la surface, quand l' oeuvre d' un déblaiement avan
a modelé les flancs des vallées, mis à nu les versants des
montagnes, disséq et diversifié les plans. Là où les glaciers
ont passé, subsiste, au moins provisoirement, cet ensemble
chaotique de monticules et de lacs qu' on appelle le paysage
morainique. Le nom d' appareil littoral caractérise une affluence
de formes qui, variées en elles-mêmes, n' apparaissent gre l'
une sans l' autre : ici des fiords surmontés de lacs intérieurs
et prolongés vers la mer par cette bordure chiquetée d' îles et
d' écueils que les scandinaves ont appelée Skiargaard ;
ailleurs la rangée uniforme des lagunes, des barres fluviales et
des cordons littoraux. Chacun de ces types se compose de formes
en dépendance réciproque. Telle est aussi la physionomie de la
gétation. Ce n' est pas l' olivier qui personnifie à lui seul
la végétation méditerranéenne, pas plus qu' une hirondelle ne
fait le printemps. Ce que cette expression de Méditerrae
évoque, c' est une multitude de plantes dont les formes ont par
leur variété excité l' imitation artistique, mais qui coexistent
néanmoins dans un ensemble que le langage populaire
p296
désigne sous les noms de maquis, garigues, ou autres. C' est
une des associations caractéristiques que distingue la science
botanique. Partout donc nous rencontrons des expressions
collectives, les unes populaires, les autres scientifiques,
correspondant à ces faits d' observation. Elles suffiraient à
nous avertir qu' un lien commun existe entre les divers éléments
dont nous avions reconnu la complexité. De quoi est formé ce lien
? C' est par cette question que nous sommes amenés à la notion de
milieu ; notion dont l' apparence vague tient à l' abus qu' on en
fait, mais qui, pour peu qu' on la creuse, se montre pleine d'
enseignements. C' est le climat, peut-on dire en un sens, qui
décide de la ppondérance des formes de déblaiement ou de
dénudation. Mais l' explication est trop sommaire, et ce mot ne
rend pas un compte adéquat et complet des phénones. Nous voyons
en effet que les formes elles-mêmes cherchent à s' organiser
entre elles, à réaliser un certain équilibre. Ici à l' aide du
vent, ailleurs à l' aide des eaux courantes, elles travaillent d'
après un plan et pour une fin déterminée ; peu importe d'
ailleurs qu' elles l' atteignent ou qu' elles soient
contrecarrées en route. Les dunes et les sables s' alignent
suivant uneométrie ; ils accomplissent une oeuvre de
nivellement. Chaque flèche s' allonge dans le sens de sa voisine,
et tend à se raccorder avec celle qui lui fait face. Le ravin qui
, né d' une rigole, écorche le flanc d' une montagne, soutire un
faisceau de rigoles semblables ; et quand de cet ensemble il s'
est for un cours d' eau, celui-ci travaille, de concert avec
ses frères, à adapter son profil suivant un niveau de base commun
. Si dans le monde des formes inanimées les traits se coordonnent
, cette adaptationciproque n' est pas moins sensible entre les
êtres vivants, mais elle s' exerce différemment. Les plantes qui
peuplent une contrée, les animaux auxquels ces plantes servent de
nourriture, et jusqu' à un certain point même les groupes humains
qui trouvent dans cet entourage, cet " environnement " , suivant
l' expression anglaise, le principe d' un genre de vie, sont
compos d' éléments disparates. Il entre, avons-nous dit, dans
les associationstales les espèces les plus diverses de
provenance et de forme. Mais au dessus de ces différences une
tonalité générale domine ; les plantes s' organisent
physiologiquement, elles revêtent pour s' accommoder aux
influences ambiantes une livrée commune, d' après l' altitude,
les intemries, lacheresse, la chaleur humide. Non seulement
elles modifient suivant des prodés divers et parfois très
inattendus leurs organes extérieurs, mais elles se combinent
entre elles de façon
p297
à separtir l' espace. Dans ces groupements, qui sont l' aspect
normal sous lequel se présente et se grave dans nos yeux la
physionomie du paysage, chaque plante s' est arrangée avec ses
voisines pour avoir sa part de sol, de lumière, de nourriture.
Les êtres viennent s' associer et s' unir, " trouvant avantage et
profit dans les conditions déterminées par la présence des autres
" . Une forêt est une sorte d' être collectif où coexistent, dans
une harmonie provisoire et non à l' épreuve des changements, des
arbres, des végétaux de sous-bois, des champignons et une foule
d' hôtes également attitrés, insectes, termites, fourmis. Ainsi
les choses se présentent à nous en groupes organisés, en
associations régies par un équilibre que l' homme dérange
incessamment ou, suivant les cas, redresse, en y portant la main.
L' idée de milieu, dans ces expressions diverses, se précise
comme corrélative et synonyme d' adaptation. Elle se manifeste
par des séries de pnomènes qui s' enchaînent entre eux et sont
mis en mouvement par des causesrales. C' est par elle que
nous sommes incessamment rames à ces causes de climat, de
structure, de concurrence vitale, qui donnent le branle à une
foule d' activités spéciales des formes et des êtres. V-la
thode descriptive. On peut juger, par ce qui vient d' être dit,
quel rôle capital joue en tout ceci la description. La géographie
se distingue comme science essentiellement descriptive. Non pas
assurément qu' elle renonce à l' explication : l' étude des
rapports des pnomènes, de leur enchaînement et de leur
évolution, sont autant de chemins qui y mènent. Mais cet objet
me l' oblige, plus que toute autre science, à suivre
minutieusement la méthode descriptive. Une de ces tâches
principales n' est-elle pas de localiser les divers ordres de
faits qui la concernent, de déterminer exactement la position qu'
ils occupent, l' aire qu' ils embrassent ? Aucun indice, aucune
nuance même ne saurait passer inaperçue ; chacune a sa valeur
géographique, soit commependance, soit comme facteur, dans l'
ensemble qu' il s' agit de rendre sensible. Il faut donc prendre
sur le fait chacune des circonstances qui les caractérisent, et
en dresser exactement le bilan. Dans le riche clavier de formes
que la nature étale à nos yeux, les conditions sont si diverses,
si entre-croisées, si complexes qu' elles risquent d' échapper à
qui croit tropt les tenir. Deux écueils sont particulièrement
à craindre : celui des formules trop simples et rigides entre
lesquelles glissent les faits, et celui des formules à tel point
multipliées qu' elles ajoutent à la
p298
nomenclature et non à la clarté. Décrire, définir et classer,
pour de là déduire, sont des orations qui logiquement se
tiennent ; mais les phénomènes naturels d' ordre géographique ne
se plient pas avec un empressement toujours docile aux catégories
de l' esprit. La description géographique doit être souple et
variée comme son objet même. C' est souvent profit pour elle de
puiser dans la terminologie populaire ; celle-ci s' étant formée
directement en contact avec la nature, telle désignation saisie
sur le vif, tel dicton rural ou proverbe peuvent ouvrir un jour
sur un rapport, une riodicité, une coïncidence, toutes choses
qui se réclament directement de la géographie. Ce n' est pas non
plus sans raison que dans les livres ou mémoires géographiques
les repsentations figurées tiennent de plus en plus de place.
Le dessin, la photographie entrent à titre de commentaires dans
la description. Les figures schématiques ont leur utilité comme
instrument demonstration. Mais rien ne vaut le dessin comme
moyen d' analyse pour serrer de près la réalité, et comme
contrôle de ces observations directes, qui trouvent aujourd' hui
dans les excursions géographiques l' occasion fréquente de s'
exercer. L' habitude de ces leçons itinérantes est, chez nous, un
des plus remarquables gains pédagogiques de ces dernières années.
C' est l' école de plein air, plus hygiénique et plus efficace
que toute autre. Elle choisit d' avance ses textes, c' est-à-dire
les paysages se ramasse, dans une perspective plus facile à
saisir, cet ensemble de traits caractéristiques qui gravent dans
l' esprit duographe l' idée de contrée. Vi-la géographie et
l' histoire. Il va sans dire que dans cette physionomie l' homme,
directement ou indirectement, par sa présence, par ses oeuvres ou
par le contrecoup de ses oeuvres, s' impose toujours à l'
attention. Lui aussi est un des agents puissants qui travaillent
à modifier les surfaces. Il se range à ce titre parmi les
facteurs géographiques de premier ordre. Son oeuvre sur la terre
est déjà longue ; il est peu de parties qui n' en portent les
stigmates. On peut dire que de lui dépend l' équilibre actuel du
monde vivant. C' est une tout autre question que celle de savoir
quelle influence les conditionsographiques ont exercée sur ses
destinées et particulièrement sur son histoire. Je ne puis qu'
effleurer ici ce point important. L' histoire et la géographie
sont d' anciennes compagnes qui ont longtemps cheminé ensemble et
qui, comme il arrive entre de vieilles connaissances, ont perdu
l' habitude de discerner les différences qui les séparent. Loin
de moi l' intention de troubler l' harmonie de ce ménage. Il est
utile toutefois que, tout en continuant de se rendre de
ciproques services, elles aient nettement conscience des
divergences
p299
qui existent dans leur point depart et leurs méthodes. La
géographie est la science des lieux et non celle des hommes ;
elle s' intéresse aux énements de l' histoire en tant qu' ils
mettent en oeuvre et en lumière, dans les contrées ils se
produisent, des propriétés, des virtualités qui sans eux seraient
restées latentes. L' histoire d' Angleterre est insulaire, celle
de la France est tiraillée entre la mer et le continent ; le
doigt de la géographie est marqsur chacune. Ces enchaînements
historiques ont leur place dans l' évolution des faits terrestres
; mais combien est limitée la période de temps qu' ils embrassent
! C' est une sorte de truisme que d' opposer la brièveté de la
vie humaine à la due qu' exige la nature pour ses moindres
changements : mais enfin, combien peu de générations suffirait-il
de mettre bout à bout, pour toucher au terme au delà duquel il n'
y a plus demoignage historique, et me, puisque l' histoire
se résume en de grands efforts collectifs, où il n' y a plus d'
histoire ! L' étude de l' évolution des phénomènes terrestres
suppose l' emploi d' une chronologie qui diffère essentiellement
de celle de l' histoire. On est trop porté à l' oublier. C' est
ce qui arrive, par exemple, lorsque devant le spectacle de
civilisations déchues, on demande l' explication de ces
décadences et de ces ruines à des changements de climats.
rement, il y a eu de tels changements depuis l' époque
quaternaire ; mais peut-on appliquer leurs effets à l' histoire
humaine ? On reste inquiet devant de telles hypothèses, dont le
moindre défaut n' est pas detourner la question et de fermer
la porte à des recherches qui prenant l' histoire pour base, n'
auraient sans doute pas dit leur dernier mot. Il est temps de
conclure. Nous avons connu longtemps la géographie incertaine de
son objet et de ses méthodes, oscillant entre la géologie et l'
histoire. Ces temps sont passés. Ce que la géographie, en échange
du secours qu' elle reçoit des autres sciences, peut apporter au
trésor commun, c' est l' aptitude à ne pas morceler ce que la
nature rassemble, à comprendre la correspondance et la
corrélation des faits, soit dans le milieu terrestre qui les
enveloppe tous, soit dans les milieux régionaux où ils se
localisent. Il y a, sans nul doute, un bénéfice intellectuel
qui peut s' étendre à toutes les applications de l' esprit. En
retraçant les voies par lesquelles la géographie est arrivée à
éclairer son but et à affermir ses méthodes, on reconnaît qu'
elle a été guie par le désir d' observer de plus en plus
directement, de plus en plus attentivement, les réalités
naturelles. Cette méthode a porté ses fruits ; l' essentiel est
de s' y tenir. P Vidal De La Blache.
Livros Grátis
( http://www.livrosgratis.com.br )
Milhares de Livros para Download:
Baixar livros de Administração
Baixar livros de Agronomia
Baixar livros de Arquitetura
Baixar livros de Artes
Baixar livros de Astronomia
Baixar livros de Biologia Geral
Baixar livros de Ciência da Computação
Baixar livros de Ciência da Informação
Baixar livros de Ciência Política
Baixar livros de Ciências da Saúde
Baixar livros de Comunicação
Baixar livros do Conselho Nacional de Educação - CNE
Baixar livros de Defesa civil
Baixar livros de Direito
Baixar livros de Direitos humanos
Baixar livros de Economia
Baixar livros de Economia Doméstica
Baixar livros de Educação
Baixar livros de Educação - Trânsito
Baixar livros de Educação Física
Baixar livros de Engenharia Aeroespacial
Baixar livros de Farmácia
Baixar livros de Filosofia
Baixar livros de Física
Baixar livros de Geociências
Baixar livros de Geografia
Baixar livros de História
Baixar livros de Línguas
Baixar livros de Literatura
Baixar livros de Literatura de Cordel
Baixar livros de Literatura Infantil
Baixar livros de Matemática
Baixar livros de Medicina
Baixar livros de Medicina Veterinária
Baixar livros de Meio Ambiente
Baixar livros de Meteorologia
Baixar Monografias e TCC
Baixar livros Multidisciplinar
Baixar livros de Música
Baixar livros de Psicologia
Baixar livros de Química
Baixar livros de Saúde Coletiva
Baixar livros de Serviço Social
Baixar livros de Sociologia
Baixar livros de Teologia
Baixar livros de Trabalho
Baixar livros de Turismo