voulait qu'on lui parlât de plaisirs. On l'accuserait injustement de se nourrir d'ouvrages qu'elle
méprise, ou qui sont si loin de ses idées qu'elle ne les comprend même plus. Il y a très peu
d'hommes de mon âge et au delà qui n'aient la mémoire souillée d'un poème doublement
coupable : vous ne trouveriez pas dix jeunes gens qui sussent aujourd'hui dix vers de ce
poème, que nous savions tous par coeur au collège.
Que prétendez-vous donc ? Vous vous créez des chimères, et pour les combattre vous
imaginez de rétablir précisément la législation qui a produit les mauvais livres dont vous vous
plaignez. Voulez-vous faire des impies et des hypocrites, montrez-vous fanatiques et
intolérants. La morale n'admet point de lois somptuaires : ce n'est que par les bons exemples
et par la charité que l'on peut diminuer le luxe des vices.
Mais observez, je vous prie, messieurs, que cette jeunesse, si tranquille maintenant avec la
liberté de la presse, était tumultueuse au temps de la censure. Elle s'agitait sous les chaînes
dont on chargeait la pensée. Par une réaction naturelle, plus on la refoulait vers l'arbitraire,
plus elle devenait républicaine ; elle nous poussait hors de la scène, nous autres générations
vieillissantes, et dans son exaspération elle nous eût peut-être écrasés tous. Bannie du
présent, étrangère au passé, elle se croyait permis de disposer de l'avenir : ne pouvant
écrire, elle s'insurgeait ; son instinct la portait à chercher à travers le péril quelque chose de
grand, fait pour elle, et qui lui était inconnu : on ne la contenait qu'avec des gendarmes.
Aujourd'hui, docile jusque dans l'exaltation de la douleur, si elle fait quelque résistance, ce
n'est que pour accomplir un pieux devoir, que pour obtenir l'honneur de porter un cercueil :
un regard, un signe l'arrête. Sous la menace d'une nouvelle loi de servitude cette jeunesse
donne un rare exemple de modération ; à la voix d'un maître qu'elle aime, elle comprime ces
sentiments que la candeur de l'âge ne sait ni repousser ni taire : plus de mille disciples
(délicatesse toute française !) cachent dans leur admiration leur reconnaissance : ils
remplacent par des applaudissements dus au plus beau talent ceux qu'ils brûlaient de
prodiguer à la noblesse d'un sacrifice [M. Villemain. (N.d.A.)] .
Je ne sépare point, messieurs, de ces éloges donnés à la jeunesse, les fils des guerriers
renommés, des savants illustres, des administrateurs habiles, des grands citoyens, qui
représentent au milieu de cette noble chambre les différentes gloires de leurs pères. Instruits
aux libertés publiques sans les avoir achetées par des malheurs, ils apprendront de vous,
nobles pairs, l'art difficile de ces discussions où la connaissance de la matière se joint à la
clarté des idées et à l'éloquence du langage, de ces discussions où toutes les convenances
sont gardées, ou les passions ne viennent jamais obscurcir les vérités, où l'on parle avec
sincérité, où l'on écoute avec conscience. Pénétrés de la plus profonde reconnaissance pour
la mémoire d'un roi magnanime qui voulut bien donner à leur sang une portion de
souveraineté héréditaire, nos enfants seront prêts, comme nous, à verser pour nos princes
légitimes la dernière goutte de ce sang : ils leur feront, s'il le faut, un sacrifice plus pénible :
ils oseront signaler les erreurs échappées peut-être aux conseillers de la couronne, et par qui
la France aurait à souffrir dans son repos, sa dignité ou son honneur. Ils se souviendront des
belles paroles de l'ordonnance qui institue l'hérédité de la pairie. " Voulant donner à nos
peuples, dit Louis XVIII, un nouveau gage du prix que nous mettons à fonder de la manière la
plus stable les institutions sur lesquelles repose le gouvernement que nous leur avons
donné, et que nous regardons comme le seul propre à faire leur bonheur . "
Telles sont, messieurs, les générations qui vivent sous la liberté de la presse, et telles furent
celles qui ont passé sous l'asservissement de la presse. C'est un fait incontestable que
partout où la liberté de la presse s'est établie, elle a adouci et épuré les moeurs, en éclairant
les esprits. Quand a cessé ce long massacre de rois, ces atroces guerres civiles qui ont
désolé l'Angleterre ? Quand la liberté de la presse a été fixée. Deux fois l'incrédulité a voulu